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L’appréhension du patrimoine culturel subaquatique par le droit international

Par Jade PINSON

16 avril 2024

 

        Dans ses résolutions portant sur « Les océans et le droit de la mer », l'Assemblée générale des Nations Unies affirme chaque année que “le patrimoine  archéologique, culturel et historique sous-marin […] recèle des informations essentielles sur l'histoire de l'humanité" et que “ce patrimoine est une ressource à protéger et à préserver”. S’il s’agit d’une thématique relativement peu abordée de manière générale, le patrimoine culturel subaquatique constitue pourtant un témoignage historique essentiel sur nos civilisations passées, et contribue à façonner l’identité culturelle des différentes populations de la planète. La question de sa préservation s’avère dès lors essentielle.

         Tel que défini par la Convention de l’UNESCO de 2001 relative à sa protection, ce patrimoine particulier correspond à “toutes les traces d'existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, depuis 100 ans au moins” (art. 1). Les épaves, lorsqu’elles sont anciennes, en sont l’illustration par excellence. Sont cependant également inclus dans cette définition des cités englouties, comme la ville antique de Héracléion en Egypte, ou tout autre type de site subaquatique façonné par la main de l’homme, mais aussi des tombes sous-marines. A cela s’ajoute une myriade de biens archéologiques divers et variés, découverts dans le fond des mers.

        Il est bien évident qu’il s’agit d’une ressource à protéger, principalement des interventions humaines, et d’autant plus depuis que la plongée sous-marine autonome est devenue possible. Si c’est grâce à la plongée en scaphandre autonome que la dimension historique de l’épave va apparaître avec la découverte de gisements archéologiques sous-marins après la seconde guerre mondiale 1, cette avancée technologique a également facilité l’accès aux sites subaquatiques pour le grand public. Or face aux cargaisons transportées par exemple par les galions espagnols à travers l’Atlantique, la tentation est grande de chercher à s’approprier celles-ci pour les revendre à prix d’or. L’un des exemples récents les plus impressionnants est celui du San José, galion espagnol coulé en 1708 près des côtes colombiennes et dont la cargaison était estimée à 200 tonnes d’or, d’argent et de pierres précieuses brutes 2. Dans ce contexte, l’enjeu majeur de la préservation du patrimoine culturel subaquatique demeure la lutte contre le pillage, qui non seulement constitue une perte du témoignage historique que représentent les biens archéologiques pillés, mais endommage également le site subaquatique sur lequel ils ont été découverts : il est bien évident que les pilleurs ne font que peu de cas du maintien en état des épaves lorsqu’ils interviennent pour les dépouiller de l’entièreté de leur cargaison.

         La première réponse juridique face à ce danger s’est faite à l’échelle nationale : certains Etats ont ainsi pu établir un niveau de protection élevé, comme la France avec la loi du 1er décembre 1989 relative aux biens culturels maritimes, ou plus récemment l’Australie avec l’Australian Underwater Cultural Heritage Act de 2018. Mais l’extrême hétérogénéité des politiques nationales, à laquelle s’ajoute la limite des compétences des Etats en mer telle qu’établie par le droit de la mer, a mis en lumière la nécessité d’établir un cadre juridique international 3. Cela a été initié lors de la IIIe conférence des Nations Unies sur le droit de la mer par les Etats méditerranéens, dont les eaux sont riches en sites et biens archéologiques submergés, et a mené à l’adoption des articles 303 et 149 dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), au sein d’un texte qui n’était ainsi pas spécifiquement dédié au patrimoine culturel subaquatique. Le premier instrument juridique se penchant spécifiquement sur cette thématique a été la Recommandation 848 (1978) du Conseil de l’Europe. Par la suite, au niveau international, des travaux ont débuté en 1989 au sein du Comité de droit du patrimoine culturel de l’Association de droit international. Ceux-ci ont abouti à l’adoption du projet de convention de Buenos Aires sur la protection du patrimoine culturel subaquatique en 1994 4. Enfin, c’est le 2 novembre 2001 qu’a été adoptée une véritable convention contraignante et non une simple recommandation en la matière, par l’UNESCO.

          La nécessité d’établir un instrument international spécifiquement dédié à la protection de ce patrimoine particulier tient au fait que les problématiques qui y sont liées sont différentes de celles soulevées par la protection du patrimoine culturel terrestre. Il n’y a en effet ici pas d’assise territoriale, et c’est évidemment particulièrement le cas en haute mer, là où se trouve par exemple l’épave du Titanic. Il est dès lors nécessaire de déterminer l’État compétent dans des zones où il n’y a pas forcément de souveraineté étatique pour prendre des mesures nécessaires à la protection d’un site archéologique submergé. Or le risque de conflit de compétence est important, notamment lorsqu’un Etat met en avant un élément de rattachement (historique, culturel, patrimonial…) avec une épave par exemple, qui se trouverait dans les eaux d’un autre Etat. A cela s’ajoute la potentielle volonté des Etats de récupérer la cargaison qui peut se trouver à bord, mais aussi les revendications auprès des Etats par des personnes privées qui avanceraient le maintien de leur droit de propriété pour fonder celles-ci, ou encore qui revendiqueraient des droits réels sur les biens archéologiques après le “sauvetage” de ceux-ci.

          La CNUDM fut le premier texte à s’intéresser au patrimoine culturel subaquatique à l’échelle internationale. Son article 303 oblige ainsi les Etats à protéger les objets de caractère archéologique ou historique découverts en mer et à coopérer à cette fin. Cette coopération passe notamment par la conclusion d’accords régionaux. S’il y en a assez peu qui soient spécifiques à la protection des sites et biens archéologiques subaquatiques, on peut tout de même citer l’accord sur “La Belle” entre les États-Unis et la France, signé en 2003. Les deux Etats se sont ainsi mis d’accord pour laisser l’épave où elle se trouve, et pour instaurer un mécanisme de coopération scientifique 5. L’article 149 de la CNUDM s’intéresse lui plus particulièrement aux objets archéologiques découverts dans la Zone internationale des fonds marins (la Zone), qui doivent être “conservés ou cédés dans l’intérêt de l’humanité tout entière”. De manière générale, il y a un vide juridique certain de la CNUDM quant à la problématique de la préservation de ce patrimoine.

          C’est pour cette raison que beaucoup d’espoirs reposaient sur la Convention de l’UNESCO de 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique. Mais, entrée en vigueur le 2 janvier 2009, elle n’a été ratifiée que par 67 Etats. Elle l’a surtout été par des Etats d’Amérique du Sud et d’Europe, parmi lesquels beaucoup sont des Etats méditerranéens. Par exemple, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grèce ne sont pas parties à la convention (et ce en dépit du patrimoine qui se trouve dans les eaux grecques). Le fait qu’il ne soit pas possible d’émettre des réserves à la convention (en vertu de son article 30), y est sans doute pour beaucoup, sachant qu’un certain nombre de points, comme le refus de l’application du droit du sauvetage commercial ou salvage law, crispe bon nombre d’Etats.

         Une Conférence des parties se réunit tous les deux ans pour assurer le suivi de la convention, et un Conseil consultatif scientifique et technique est mis en place. Ce dernier fournit une expertise scientifique et technique pour la mise en œuvre des Règles de l’Annexe de la convention, et assiste les Etats pour les questions relatives au patrimoine culturel subaquatique et à sa préservation.

           Nous verrons en quoi la convention de l’UNESCO, en tant que premier texte international à se pencher sur le sujet, offre un fondement essentiel quoique parfois insuffisant pour la mise en oeuvre d’une véritable protection du patrimoine culturel subaquatique, puis de quelle manière ses dispositions s’articulent avec le droit de la mer et les dispositions de la CNUDM, dans la lignée de laquelle elle a été adoptée.

I - Une protection certaine bien qu’imparfaite offerte par la convention de l’UNESCO de 2001


A) Vue d’ensemble de la convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique

          En ce qui concerne son champ d’application, la convention de 2001 le définit avec précision au travers de la définition du patrimoine culturel subaquatique (mentionnée en introduction), donnée à l’article 1 (a) et elle même affinée par un certain nombre d’exemples de ce qui doit être considéré comme faisant partie de ce patrimoine : “les sites, structures, bâtiments, objets et restes humains, ainsi que leur contexte archéologique et naturel”, “les navires, aéronefs, autres véhicules ou toute partie de ceux-ci, avec leur cargaison ou autre contenu, ainsi que leur contexte archéologique et naturel”, et “les objets de caractère préhistorique”. Certaines exclusions sont précisées également, à savoir les pipelines et les câbles sous-marins et les autres installations sur le fond des mers encore en usage. Les sites et paysages d’origine naturelle et non humaine sont eux aussi clairement exclus du champ d’application de la convention.

          L’un des points plus ambigus de la convention en ce qui concerne son champ d’application est la possibilité qui est laissée aux Etats d’appliquer les règles de l’Annexe à la convention aux eaux continentales (art. 28). Pourtant a priori le patrimoine culturel subaquatique, dans sa définition, n’a pas de caractère spécifiquement maritime. Il semble dès lors étrange que ces eaux n’entrent pas directement dans le champ d’application de la convention. En réalité, la majorité des Etats démontre un manque d’intérêt certain pour cette possibilité, puisque seuls 6 États l’ont saisie. Cela peut poser problème puisque pour ces eaux situées à l’intérieur des terres, la souveraineté des Etats en matière culturelle est accrue et les mesures prises peuvent être bien éloignées des normes de protection issues de la convention de l’UNESCO. Il s’agit pourtant d’une possibilité intéressante, et le Guatemala par exemple l’a bien compris : les temples et villages immergés du Lac Atitlan constituent en effet une attraction touristique à la renommée internationale, accentuant les risques de plongée non contrôlée et de pillages alors qu’il s’agit d’un site sacré pour la communauté autochtone 6.

         Quant aux activités visées par la convention de 2001, il est apparu clair lors des négociations que l’activité essentielle à réglementer était le pillage des sites subaquatiques. Le Canada avait ainsi proposé de ne s’intéresser “ni aux interventions de l’industrie minière, ni à la pêche, ni à la pose de câbles sous-marins 7. Il est pourtant certain que de telles activités constituent un risque important d’endommagement du patrimoine culturel subaquatique. Or en vertu du droit de la mer, ces activités peuvent être valablement exercées, et la majeure partie des Etats craignait que les faire entrer dans le champ d’application de la convention de l’UNESCO risquerait de porter atteinte à l’exercice de leurs droits. Celle-ci a donc adopté la formule large “d’intervention ayant une incidence fortuite sur le patrimoine culturel subaquatique”, pour viser les activités qui, bien que n’ayant pas pour objet directement ce patrimoine, peuvent lui causer des dommages.

      En ce qui concerne son contenu, la convention de 2001 contient une obligation générale des Etats de protéger le patrimoine culturel subaquatique, qui va de pair avec une obligation de coopération. Cette dernière vaut évidemment pour la protection du patrimoine en elle-même mais également pour la formation et le transfert de technologies associées à celui-ci. Elle établit également deux grands principes de protection, à savoir la priorité à la préservation in situ et l’interdiction de la commercialisation des biens culturels sous-marins (art. 2 §5 et §7). Enfin, la convention insiste sur la sensibilisation du public au patrimoine culturel subaquatique, en facilitant l’accès “inoffensif et responsable” à celui-ci si cela ne contrevient pas à l’objectif de sa préservation (art. 2 §10 et art. 20). Il convient également de noter que la convention se dissocie de la concurrence géopolitique, en ce qu’elle affirme clairement qu’aucune action ni activité menée sur sa base ne peut autoriser à faire valoir, soutenir ou contester une revendication de souveraineté ou juridiction de part d’un État (art. 2 §11).

          Enfin, en ce qui concerne son articulation avec d’autres conventions, les dispositions de la convention de l’UNESCO sont assez claires. En premier lieu, dans son articulation avec la CNUDM, l’article 3 de la convention de 2001 établit que ses dispositions doivent être interprétées et appliquées en conformité avec celle-ci (art. 3). Ses dispositions ne sauraient dès lors porter “atteinte aux droits, à la juridiction et aux devoirs des États” établis par la convention sur le droit de la mer. Concernant la convention de l’UNESCO de 1972 sur le patrimoine mondial, elle ne vise que la protection du patrimoine terrestre. Ses dispositions ne pourraient dès lors potentiellement s’appliquer qu’aux sites du patrimoine culturel subaquatique se trouvant dans les eaux intérieures et uniquement pour la protection des éléments de “valeur universelle exceptionnelle” qui ne sont pas des biens meubles. En réalité, très peu d’éléments du patrimoine culturel subaquatique sont concernés. En dernier lieu, dans son articulation avec des textes régionaux, le plus important étant la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (révisée) de 1992 (dite aussi Convention de La Valette), il convient de se pencher sur l’article 6 de la convention de l’UNESCO. En vertu de celui-ci, les Etats sont encouragés à conclure des accords bilatéraux, régionaux et multilatéraux, si tant est qu’ils soient conformes aux dispositions de la convention de 2001, et que le caractère universel de cette dernière n’en soit pas affaibli. Ces accords peuvent même aller plus loin dans la protection du patrimoine culturelle subaquatique que la convention, qui établit des normes minimales de protection.

B) L’établissement de grands principes de protection

      Le premier principe établi par la convention de l’UNESCO est l’option prioritaire de conservation in situ, avant autorisation de toute intervention, que l’on retrouve à l’article 2 §5 et à la Règle 1 de l’Annexe sous la forme suivante : “les interventions sur le patrimoine ne sont autorisées que lorsqu’il y est procédé d’une manière compatible avec la protection de ce patrimoine et peuvent être autorisées, à cette condition, lorsqu’elles contribuent de manière significative à la protection, à la connaissance ou à la mise en valeur du dit patrimoine”. La préservation in situ correspond à la préservation sur site, c’est-à-dire sans déplacement des biens archéologiques. Il s’agit de l’option qui doit être privilégiée car elle ralentit fortement le processus de détérioration, les biens archéologiques submergés tendant à s’intégrer à l’environnement marin avec le temps. Les fouilles viennent ainsi perturber l’équilibre atteint lorsque le bien est par exemple recouvert de couches de vase et de micro-organismes, et en cas d’opération de récupération des biens, il y a un risque certain d’endommagement si l’opération échoue. La récupération ne se fera donc que s’il est scientifiquement démontré que la préservation n’est plus possible sur site. Les éléments récupérés sont ensuite mis en dépôt, gardés et gérés de manière à assurer leur conservation à long terme.

      Cette priorité donnée à la préservation in situ donne lieu pour les Etats parties à une obligation de contrôle des interventions sur le patrimoine culturel subaquatique, qui a pour préalable une obligation de notification des découvertes de biens et sites archéologiques, ces sites étant par la suite inscrits sur un inventaire. L’Etat côtier doit ainsi s’assurer que son territoire n’est pas utilisé pour servir d’appui à des interventions sur le patrimoine culturel subaquatique qui ne seraient pas conformes aux dispositions de la convention de l’UNESCO (art. 5), et au-delà de 24 milles marins, il doit interdire les interventions sur ce patrimoine si elles représentent un danger immédiat à celui-ci (art. 10). L’Etat du pavillon, quant à lui, doit s’assurer que ses navires et ressortissants n’interviennent pas sur patrimoine culturel subaquatique si ces interventions s’avèrent ne pas être conformes aux dispositions de la convention. Il y a toutefois une appréciation discrétionnaire de l’Etat du pavillon sur les mesures à prendre (art. 16). Il doit également réglementer et sanctionner les agissements de ses navires dans le cadre de leurs activités dans la Zone (art. 11). Néanmoins, cette compétence personnelle des Etats est assez exceptionnellement mise en oeuvre pour protéger les éléments du patrimoine culturel subaquatique 8.

          Cela pose de plus la question de la récupération des biens et de l’application du droit du sauvetage commercial ou droit de l’assistance (au sens de salvage law du droit anglo-saxon) et du droit des trésors (law of finds) : selon les dispositions du droit de l’assistance, toute personne qui a récupéré une épave avec diligence peut obtenir une rémunération, tandis que le droit des trésors permet d'acquérir la propriété si l'on démontre que le propriétaire initial a abandonné ses droits sur ladite épave. Le droit de l’assistance constitue une véritable industrie, en particulier aux Etats-Unis. La convention de 2001 établit qu’il n’y a pas d’application de ce droit au patrimoine culturel subaquatique, sauf si trois conditions sont réunies : l’intervention doit être autorisée par les services compétents, elle doit être conforme à la convention, et la protection maximale du patrimoine doit être garantie pendant l’opération de récupération (art. 4). Toute activité de “sauvetage” spontanée est dès lors interdite. L’article 4 est un article de compromis, entre les États qui considèrent que l’application du droit du sauvetage commercial contrevient aux principes de l’archéologie et les autres États pour lesquels ce droit est établi de longue date, et participe à la mise en oeuvre d’une industrie.

          Il peut y avoir un conflit entre les dispositions de la convention de l’UNESCO et celles de la convention de Londres de 1989 sur l’assistance, puisqu’en vertu de cette dernière l’assistant a une obligation de diligence lors de son intervention. Or rien ne permet d’interpréter celle-ci comme une obligation de “s’attacher à préserver la valeur culturelle des biens faisant l’objet des opérations9. Cela signifie donc qu’une personne pourrait vouloir “sauver” un bien archéologique (qui peuvent entrer dans le champ d’application de la convention de Londres (art. 1(a) et (c)) pour obtenir une rémunération, sans pour autant prendre en considération les impératifs de préservation de celui-ci. Toutefois la convention de 2001 constitue une règle spéciale pour les éléments entrant dans son champ d’application, et postérieure à la convention de Londres. Les Etats parties aux deux conventions doivent dès lors la faire primer 10. En vertu de la CNUDM, les Etats ont l’obligation de protéger les objets historiques et archéologiques (art. 303), mais ont une liberté de choix des mesures pour ce faire. Ils peuvent donc décider d’adapter des règles du droit du sauvetage pour la récupération des biens archéologiques subaquatiques. Cependant, cela ne signifie en rien que les Etats peuvent se prévaloir d’une quelconque liberté de récupération des biens archéologiques en mer, ce qui découle de la lecture des articles 303 et 149 CNUDM.

          Nous évoquerons rapidement ici le cas un peu particulier des restes humains, qui peuvent notamment se trouver à bord des épaves. Il s’agit bien d’un élément du patrimoine culturel subaquatique au sens de la convention de l’UNESCO lorsqu’ils ont plus de 100 ans, et la convention contient quelques points spécifiquement dédiés à leur gestion. L’article 2 §9 dispose ainsi que les Etats doivent veiller “à ce que tous les restes humains immergés dans les eaux maritimes soient dûment respectés” tandis que la Règle 5 de l'Annexe établit que les activités ayant directement pour objet le patrimoine culturel subaquatique doivent éviter de perturber inutilement les restes humains et les lieux sacrés. Il n’y a toutefois pas de précisions supplémentaires : doivent-ils être récupérés ou laissés sur le site archéologique, être restitués à l’État d’origine s’il est identifiable… A priori, le principe de préservation in situ doit leur être appliqué, donnant une dimension particulière au site archéologique sur lequel ils se trouvent. Ainsi pour certains, il serait souhaitable d’envisager la possibilité de préserver les épaves contenant des restes humains en tant que cimetières sous-marins, afin qu’ils soient considérées comme des sanctuaires 11. Cela pourrait toutefois attirer une attention non désirée sur le site en lui-même, engendrant le risque de développement soit d’une forme d’une sorte de tourisme macabre, soit de “visites de recueillement”.

     Le second principe est celui de l’interdiction de l’exploitation commerciale des éléments du patrimoine culturel subaquatique, que l’on retrouve à l’article 2 §7 et à la Règle 2 de l’Annexe : “l’exploitation commerciale du patrimoine à des fins de transaction ou de spéculation ou sa dispersion irrémédiable est foncièrement incompatible avec la protection et la bonne gestion du patrimoine”. Toutefois cela n’empêche en rien la “fourniture de services archéologiques professionnels ou de services connexes nécessaires dont la nature et le but sont pleinement conformes à la présente Convention, sous réserve de l’autorisation des services compétents”. Cela n’empêche pas non plus le dépôt d’éléments du patrimoine culturel subaquatique, dès lors que celui-ci “ne porte pas atteinte à l’intérêt scientifique ou culturel ou à l’intégrité des éléments récupérés”, qu’il est conforme aux dispositions de l’Annexe pour la conservation des biens, et que les services compétents l’ont autorisé. Le Conseil consultatif scientifique et technique rattaché à la convention a pu considérer que les opérations envisagées sur les sites archéologiques submergés ne devaient pas être financées par la vente des biens découverts sur ces sites, puisque cela signifierait que cette vente a été planifiée avant les fouilles, ce qui poserait le risque de la mise en place d’un système d’exploitation commerciale 12. Un Fonds du patrimoine culturel subaquatique a de plus été créé pour que les Etats parties et surtout les pays en développement puissent demander une assistance financière. Ce fonds fonctionne sur la base de contributions volontaires des Etats, et a effectivement été activé par la contribution de la Suisse, à hauteur de 45 000 francs suisses, en 2021.

        Le corollaire de la non-commercialisation des biens archéologiques est l’obligation pour les Etats de lutter contre leur trafic illicite. Ils doivent ainsi “empêcher l'entrée sur leur territoire, le commerce et la possession de patrimoine culturel subaquatique exporté illicitement et/ou récupéré” en violation de la convention (art. 14). Autrement dit, ils doivent instituer un contrôle douanier, puis saisir les biens provenant d’un trafic afin de “priver l’auteur de l’acte délictueux du bénéfice de son activité13, et la sanction est laissée à la discrétion des Etats (art. 17). Une coopération entre les Etats parties est instaurée, via un système de partage d’informations pour informer des interventions sur le patrimoine culturel subaquatique effectuées en violation de la convention de l’UNESCO. Il n’y cependant aucune disposition sur la question de la restitution des biens à l’État d’origine, même si l’UNESCO incite les Etats à prévoir une telle disposition dans leur législation nationale 14. Il n’y a pas non plus d’obligation explicite de contrôler l’exportation des éléments du patrimoine culturel subaquatique provenant des eaux sous leur juridiction. Pour M. THEY, cette exigence peut être déduite du principe d’interdiction de l’exploitation commerciale, en faisant une interprétation de bonne foi de la convention, et parce que le préambule de celle-ci renvoie à la convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire ou empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite de biens culturels 15.

C) La vague prise en considération des revendications étatiques

       En premier lieu se pose la question de la prise en compte de la revendication de droits de propriété sur les biens archéologiques submergés, soit par les Etats soit auprès d’eux par des individus privés. Il n’y a à ce sujet aucune disposition dans la convention de l’UNESCO, les Etats partie déterminant le statut des biens dans leur législation. Ainsi par exemple la France s'attribue la propriété des biens culturels maritimes couverts par le Code du patrimoine uniquement si leur propriétaire n'est pas susceptible d'être retrouvé (art. L. 532-2 du Code du patrimoine). Deux modes de fonctionnement s’opposent alors : les Etats étant des puissances maritimes tendent à reconnaître les droits de propriété des autres Etats sur des biens, comme des épaves, et ce même si un important laps de temps s’est écoulé. A l’inverse, les Etats d’Amérique latine font primer leur souveraineté sur leurs eaux pour s’approprier les biens archéologiques. Il y a peu de choses en droit international sur la question, et la teneur de l’article 303 CNUDM est discutée. En effet il serait constitutif pour certains d’une obligation de tenir compte des droits de propriété, alors que pour d’autres cet article viendrait simplement souligner que la protection du patrimoine culturel subaquatique et l’exercice des droits de propriété ne sont pas incompatibles 16.

        La situation est cependant quelque peu différente en ce qui concerne les navires et aéronefs ”publics”, c’est-à-dire de guerre. Il existe là encore une opposition, entre les puissances maritimes cherchant à faire reconnaître une règle coutumière en vertu de laquelle ils feraient toujours l’objet d’immunités souveraines, et les Etats d’Amérique du Sud et des Caraïbes. Pour ces derniers, l’application de telles immunités feraient qu’une part trop importante du patrimoine culturel subaquatique serait soustraite à l’application des mesures de la convention de 2001 17. Cette dernière ne prévoit aucunement la possibilité d’exclure ce type de biens de son champ d’application (art. 1 §8), et en ce qui concerne la question des immunités, elle ne vient modifier ni le régime international en vigueur ni la pratique des Etats (art. §8). Et si un navire de guerre devait être découvert dans les eaux sous souveraineté d’un Etat, celui-ci doit seulement informer l’Etat du pavillon (lorsqu’il est identifiable), aux fins de coopération (art. 7§3), ce qui signifie bien que l’Etat côtier peut intervenir sur de tels biens. Cela a posé problème pour un certain nombre d’Etats, dont la France, qui considérait qu’il devait y avoir une autorisation préalable de l’Etat du pavillon avant toute intervention sur un navire public. C’est notamment pour cette raison que la France n’a ratifié la convention qu’en 2013. En revanche dans la ZEE, sur le plateau continental mais aussi dans la zone contiguë (art. 8), l’Etat coordonnateur doit obtenir le consentement de l’Etat du pavillon avant toute intervention sur un navire de guerre, sauf en cas d’atteinte à ses droits souverains ou de nécessité de prendre des mesures conservatoires. Et il est toujours nécessaire d’avoir le consentement de l’Etat du pavillon lorsque le bien se situe dans la Zone. Dès lors, les immunités sont a priori reconnues uniquement lorsque le navire de guerre est situé au-delà des eaux sous souveraineté d’un autre Etat.

     En second lieu, la question se pose des États qui revendiquent un lien particulier avec des biens archéologiques subaquatiques. En effet, leurs droits ne sont pas définis dans la convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, et l’article 149 CNUDM qui en fait mention n’apporte guère plus de précisions. Les Etats sont seulement incités par la convention de l’UNESCO à conclure des accords afin d’accorder un droit de regard à l’Etat revendiquant un lien sur les mesures prises par l’Etat ayant compétence pour cela. Ce qui est clair toutefois est que la déclaration d’un Etat revendiquant des droits doit être fondée sur un lien vérifiable (art. 9§5). La preuve de ce dernier peut être apportée par des résultats d’expertise scientifique, un document historique, ou tout ce que l’Etat considère approprié pour démontrer son lien avec le bien archéologique 18.

       Cette question n’est pas exactement abordée de la même manière lorsque le bien a été découvert dans la Zone : la convention évoque ici des “droits préférentiels des Etats d’origine culturelle, historique ou archéologique” (art. 11 §4), et l’on retrouve cette expression à l’article 149 CNUDM. L’interprétation de ces termes peut poser problème : il pourrait s’agir d’un droit de préemption en cas de cession ou d’un droit d’acquérir les éléments du patrimoine culturel subaquatique considérés (c’est en tout cas ce qui ressort des travaux préparatoires du Comité des utilisations pacifiques du fond des mers et des océans au-delà des limites de juridiction nationales). Mais il pourrait également s’agir d’un “droit d'être consulté en priorité ou, du moins, d'exercer une influence décisive sur les décisions prises à l'issue de la consultation19. En réalité, en pratique, la reconnaissance d’un lien vérifiable pousse simplement les Etats côtiers à être davantage disposés à coopérer avec l’Etat se prévalant de ce lien, lorsqu’il ne cherche pas à revendiquer de droit de propriété sur le bien archéologique concerné.

 

          La convention de l’UNESCO est ainsi novatrice en ce qu’elle est le premier texte international contraignant établissant des normes minimales pour la préservation du patrimoine culturel subaquatique. Son régime n’est toutefois pas complètement novateur, puisque la convention s’inscrit dans la droite lignée de la CNUDM. En effet, elle ne déroge aucunement aux principes établis en droit de la mer, et raisonne par zones maritimes, telles que reconnues par la CNUDM. Il ne s’agit dès lors pas de s’écarter de cette dernière en établissant un régime autonome, mais d’établir un droit spécial, se fondant sur la CNUDM pour l’approfondir aux fins de protection d’un patrimoine particulier, tel que la possibilité en est laissée par cette même convention.

II - La mise en oeuvre de la compétence archéologique des Etats au regard du droit de la mer


A) Dans les eaux sous souveraineté étatique

           En vertu de l’article 2 de la CNUDM, les Etats sont souverains jusqu’à 12 milles marins à partir des lignes de base, c’est-à-dire dans leur mer territoriale. Ils ont également une souveraineté totale dans les eaux intérieures, situées en deçà des lignes de base, qui font partie intégrante de leur territoire. Cela fait alors sens que la convention de l’UNESCO reconnaisse, au travers de son article 7, une “souveraineté archéologique” des Etats jusqu’à la limite de leur mer territoriale. En effet, l’Etat côtier a un droit exclusif dans la réglementation et l’autorisation des interventions sur le patrimoine culturel subaquatique. Il “devrait” seulement informer l’Etat du pavillon et les autres Etats ayant un lien vérifiable en cas de découverte de navires ou d’aéronefs d’Etat identifiables, mais il n’a pas à le faire si cette découverte a lieu dans ses eaux intérieures. Sa compétence normative est toutefois liée par l’article 7 §2 puisque l’Etat doit faire appliquer les Règles de l’Annexe aux interventions sur les sites et biens archéologiques subaquatiques situés dans ses eaux intérieures, ses eaux archipélagiques et sa mer territoriale.

B) Dans la zone contiguë

          La convention de 2001 est ici conforme à la CNUDM, en ce qu’elle ne reconnaît aucun droit exclusif à l’Etat côtier pour la réglementation et l’autorisation des interventions sur le patrimoine culturel subaquatique dans la zone contiguë (art. 8). De fait, l’article 33 de la CNUDM ne reconnaît que des compétences limitées et fonctionnelles à l’Etat côtier dans cette zone, dans les domaines douanier, fiscal, sanitaire, d’immigration, et ce pour la prévention et la répression des infractions commises dans sa mer territoriale ou sur son territoire. L’article 8 de la convention de l’UNESCO reconnaît cependant une compétence normative à l’Etat côtier, qui n’est pas établie par la CNUDM. De fait, en vertu de l’article 303 de la CNUDM, l’Etat a bien compétence en matière archéologique, mais seulement pour contrôler le commerce des objets historiques et archéologiques submergés, et ne peut sanctionner que leur enlèvement. Il n’a dès lors pas de compétence générale, et cette compétence de l’Etat côtier s’exerce dans le cadre de l’article 33 de la CNUDM : cela semble bien venir confirmer qu’il n’a de compétence normative que dans les eaux sous sa souveraineté.

         Toutefois l’article 303 §4 de la CNUDM dispose qu’il est “sans préjudice des autres accords internationaux et règles du droit international concernant la protection des objets de caractère archéologique ou historique”. La lecture de l’article 8 de la convention de 2001 harmonisée avec l’article 303 de la CNUDM pourrait alors être la suivante : “en vue de contrôler le commerce des objets historiques et archéologiques submergés depuis au moins 100 ans, l’État côtier est compétent pour autoriser ou interdire leur enlèvement de la zone contiguë, voire pour imposer des conditions à la conduite des opérations” 20. La “compétence archéologique” de l’Etat côtier s’exerce donc bien dans le cadre du régime de la zone contiguë tel qu’établi par la CNUDM, au travers d’une compétence normative spécialisée et finalisée. De plus, s’applique à cette zone le système de notification à l’UNESCO et aux Etats intéressés de la découverte d’éléments du patrimoine culturel subaquatique établi par la convention de l’UNESCO. En conséquence, l’Etat côtier ne peut établir une réglementation pour protéger ces éléments qu’en consultant les Etats intéressés : il n’a donc aucune souveraineté archéologique.

C) En zone économique exclusive et sur le plateau continental

       Il y a eu, lors des négociations autour de l’adoption de la convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, beaucoup d’oppositions à la possibilité pour l’Etat côtier d’exercer ses compétences en matière archéologique au-delà de 24 milles marins. Les Etats craignaient que cela ne porte atteinte au régime établi par la CNUDM dans la zone économique exclusive (ZEE) et sur le plateau continental 21. Or avec les avancées technologiques, les risques de pillage sur le plateau continental se sont accrus, ce dernier devenant de plus en plus accessible. La CNUDM reconnaît dans ces deux espaces des droits souverains aux Etats parties, limités à l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles (art. 56 et 77 CNUDM). Il n’y que sur le plateau continental que ces droits sont exclusifs, et uniquement pour les deux activités précitées. La convention sur le droit de la mer ne reconnaît ni droit ni juridiction sur les sites et biens archéologiques submergés : cette situation de “neutralité juridique22, où l’exercice de ses compétences par l’Etat côtier pour contrôler les éléments du patrimoine culturel subaquatique et les activités qui y sont liées n’est ni permis ni interdit, entre dans le cadre de l’article 59 de la CNUDM. Celui-ci vient répartir les compétences des Etats sur la base de l’équité en cas de conflit en prenant en compte toutes les circonstances pertinentes, l’objectif étant de parvenir à une conciliation des intérêts étatiques. L’article 303 §4 de la CNUDM aurait pu servir de fondement à l’établissement d’un droit spécial pour reconnaître une compétence à l’Etat côtier aux fins de protection du patrimoine culturel subaquatique, avec cependant le risque d’une contradiction avec le régime établi par les autres dispositions de la CNUDM.

        Un équilibre a donc dû être trouvé par la convention de l’UNESCO. Ainsi l’Etat côtier a le droit d’interdire ou d’autoriser toute intervention sur le patrimoine culturel subaquatique pour empêcher que des activités ne lui porte atteinte, puisque sa proximité géographique fait qu’il est le plus apte à le protéger. Toutefois, tous les États parties peuvent manifester leur intérêt et déclarer souhaiter être consultés sur la meilleure façon de protéger le patrimoine découvert : une coopération est ensuite instaurée entre l’Etat côtier, l’éventuel Etat du pavillon, et les Etats intéressés (art. 9 et 10). L’Etat côtier n’est que l’Etat coordonnateur de la mise en oeuvre des mesures de protection et des éventuelles interventions, sauf s’il déclare expressément ne pas vouloir l’être. Dans ce cas, les Etats ayant manifesté leur intérêt en désigne un. Aucune intervention ne peut avoir lieu sans accord de l’Etat du pavillon et sans la collaboration de l’Etat coordonnateur 23.

      Les Etats parties doivent également imposer à leurs nationaux ou leurs navires de notifier à l’Etat dont ils ont la nationalité leur découverte ou leur souhait d’intervenir sur le patrimoine culturel subaquatique, s’il se trouve dans la ZEE ou sur le plateau continental dudit Etat. Si ce patrimoine se situe dans la ZEE ou sur le plateau continental d’un autre Etat, ils doivent en plus notifier l’État côtier. Il existe une certaine ambiguïté quant à savoir si cette notification à l’Etat côtier découle uniquement de la compétence personnelle de l’Etat du pavillon ou si une compétence spatiale est reconnue au premier. Dans tous les cas, il est bien certain que l’Etat côtier n’est que le mandataire des autres Etats dans son rôle d’Etat coordonnateur, il n’a pas de pouvoir de décision autonome. La compétence qui lui est reconnue est peu ou proue la même que celle d’une organisation internationale, en ce qu’elle est spécialisée et que sa mise en oeuvre découle uniquement d’une décision collective 24. Ce système a trouvé à s’appliquer pour la première fois sur le site des Bancs de Skerki, sur le plateau continental turque. La Turquie est ainsi l’Etat coordonnateur, qui doit donc coopérer avec les Etats intéressés, en l'occurrence l'Algérie, le Maroc, l'Égypte, la Croatie, l'Espagne, la France et l'Italie, des membres du conseil consultatif scientifique et technique, et le secrétariat de la convention de l'UNESCO de 2001, qui sont tous réunis dans le cadre d’un comité dédié au site. Il s’agit de la mission internationale la plus importante menée par l’UNESCO, sur un site d’une particulière richesse archéologique puisque plus d’une centaine d’épaves sont estimées être situées sur les Bancs de Skerki, certaines étant âgées de 3 siècles 25.

          L’objectif principal de la convention de l’UNESCO est de contrôler les interventions directes sur le patrimoine culturel subaquatique et d’empêcher le pillage : en la matière, tous les Etats étaient globalement au diapason. Le problème a pu néanmoins se poser des “activités ayant une incidence fortuite” sur les sites archéologiques, telles que la pêche au chalut, la pose de câbles, la présence d’infrastructures diverses, la plongée… Pour les Etats, il y a un risque que réglementer ces activités ne revienne à limiter les droits qui leur sont reconnus par la CNUDM. Il apparaît évident que les biens archéologiques ne constituent pas des ressources naturelles au sens de la CNUDM, sur lesquelles les Etats côtiers disposent de droits souverains. Néanmoins, la mise en oeuvre de ceux-ci permet une protection incidente du patrimoine culturel subaquatique, particulièrement menacé par les activités susmentionnées dans ces espaces. En effet, en vertu de la convention de 2001, l’Etat côtier peut interdire ou autoriser des interventions sur les sites et biens archéologiques pour empêcher qu’il n’y ait une atteinte à ses droits souverains ou à sa juridiction, tels que reconnus par la CNUDM (art. 10 de la convention de l’UNESCO).

          La CNUDM offre également des possibilités intéressantes en la matière, puisqu’en vertu de son article 58 les Etats tiers doivent prendre en compte les droits et obligations de l’Etat côtier et respecter ses lois et règlements. De plus, l’article 81 reconnaît aux Etats parties le droit exclusif “d’autoriser et de réglementer les forages sur le plateau continental, qu’elles qu’en soient les fins”, ce qui pourrait amener l’Etat à contrôler des activités sur les éléments du patrimoine culturel subaquatique qui impliquerait par exemple l’usage d’explosifs. Ce patrimoine est souvent très lié à l’environnement marin, auquel il tend à s’intégrer avec le temps. Il semble dès lors envisageable que les compétences finalisées de l’Etat côtier dans sa ZEE et sur son plateau continental puissent être mises en oeuvre pour contrôler à titre incident les activités sur les biens archéologiques submergés, qui viendraient porter atteinte à l’environnement marin et donc aux ressources naturelles. Cependant, l’article 5 de la convention de l’UNESCO portant sur ce type d’activités est peu contraignant, puisque les Etats parties doivent seulement utiliser “les moyens les mieux adaptés” dont ils disposent pour “empêcher ou atténuer toute incidence négative due à des activités relevant de sa juridiction” et qui ont une incidence fortuite sur le patrimoine culturel subaquatique. La convention leur laisse ainsi une importante marge de manoeuvre, et la mise en oeuvre de mesures découle principalement de leur bonne volonté. Or il est utopique de penser que les Etats viendront réglementer strictement des activités, qui certes peuvent porter atteinte au patrimoine submergé, mais qui découlent surtout de la mise en oeuvre de leurs droits souverains et leur permettent d’exploiter leurs ressources.

D) Dans la zone internationale des fonds marins

           L’une des premières choses à noter est qu’en dépit du fait que le préambule de la convention de l’UNESCO affirme que le patrimoine culturel subaquatique fasse partie du patrimoine commun de l’humanité, ce n’est certainement pas le cas dans la Zone, puisque seules les ressources minérales ont ce statut, et les biens et sites archéologiques n’en font pas partie. Ce patrimoine ne fait pas l’objet d’une gestion par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), l’organisation internationale créée par la CNUDM qui organise et contrôle les activités dans la Zone (art. 157 CNUDM). La gestion des sites et biens archéologiques dans la Zone est mise en oeuvre par les États parties, via un Etat coordonnateur qui délivre les autorisations préalables aux interventions sur ceux-ci, et l’AIFM est seulement invitée à participer aux consultations. Aucune autre organisation internationale n’a été désignée pour spécifiquement s’intéresser à la gestion et à la protection du patrimoine culturel subaquatique, ce qui est regrettable 26 puisque la technologie de plus en plus avancée le rend davantage accessible aux interventions humaines, non contrôlées. L’on retrouve ici le même schéma de notification et de collaboration que dans la zone contiguë, la ZEE et le plateau continental, et le même système de déclaration d’un lien vérifiable par les Etats désireux d’être consultés sur la manière d’assurer la protection du patrimoine (art. 11 de la convention de l’UNESCO). Cela rejoint l’idée de l’article 149 de la CNUDM, rédigé de la manière suivante : “en coordonnant les consultations, adoptant des mesures, menant toute recherche préliminaire et/ou en délivrant les autorisations pour des interventions, l’État coordonnateur agit au bénéfice de l’ensemble de l’humanité, au nom de tous les États parties”. Ici cependant tous les Etats parties peuvent prendre des mesures avant toute consultation pour empêcher des atteintes au patrimoine culturel subaquatique, en particulier liées au pillage.

          A la lecture de la CNUDM, il apparaît que les Etats parties doivent exercer leur compétence personnelle afin de s’assurer que les activités conduites dans la Zone ne portent pas atteinte au patrimoine culturel subaquatique, protégé par l’article 149 de la CNUDM, ce en vertu de l’article 139 CNUDM quant aux obligations des Etats dans cet espace. Mais concernant les activités ayant une incidence fortuite sur le PCS, l’article 5 de la convention de l’UNESCO ne semble pas obliger les Etats à faire usage de leur compétence personnelle, puisqu’il ne mentionne que “les activités relevant de sa juridiction” : il est possible de considérer que cela ne vise que les activités dans les eaux sous souveraineté, la zone contiguë, la ZEE et sur le plateau continental 27. L’AIFM ne semble pas non plus envisager la possibilité de refuser la tenue d’activités d’exploration ou d’exploitation dans la Zone simplement en raison de la présence de biens archéologiques qui risqueraient d’être indirectement endommagés par celles-ci 28. En revanche, si une découverte de tels biens venait à être notifiée, il y aurait une suspension des activités de prospection et d’exploration dans un “rayon raisonnable”, en vertu de l’article 35 du Projet de règlement relatif à l’exploitation des ressources minérales dans la Zone de 2019.

        Un certain nombre d’Etats a pu demander des précisions quant à la dimension du “rayon raisonnable” et au délai pour notifier la découverte, et a également soulevé la question de la compensation du développeur du projet qui doit cesser ses activités en raison de la découverte d’un bien archéologique 29. Il peut être intéressant de noter que l’article 35 du Projet de règlement de l’AIFM va plus loin que l’article 303 de la CNUDM dans son champ d’application. En effet, il ne se limite pas aux seuls “objets de caractère archéologique ou historique” mais a vocation à s’appliquer aux “restes humains, objets ou sites présentant un caractère archéologique ou historique”, ce qui est davantage conforme à la convention de l’UNESCO de 2001. Il y a dans cet article 35 la même idée qu’aux articles 149 de la CNUDM et 11 de la convention de l’UNESCO : ces derniers établissent que les Etats ayant un lien vérifiable ou des “droits préférentiels” peuvent déclarer vouloir être consultés. Or l’article 35 du Projet de règlement mentionne que “l’État d’où proviennent les restes, s’il est connu” doit être notifié de la découverte de ceux-ci, ce qui semble aller dans le sens des deux conventions précitées. Il serait toutefois souhaitable, pour aller vers une réelle conformité, que le Projet soit révisé pour inclure une notification aux Etats d’origine non seulement des restes humains mais également des objets ou sites archéologiques découverts 30.

Conclusion

          La convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique n’a connu qu’un succès mitigé, seuls 67 Etats l’ayant ratifié : il est bien évident qu’il s’agit d’un nombre trop faible d’États pour réellement assurer une protection internationale de ce patrimoine particulier, dont la valeur historique, archéologique et culturelle n’est plus à établir. Il est de plus apparu, notamment lors de la Conférence des parties de juin 2019 que certains Etats parties n’avaient que faire des prescriptions de la convention, puisque les ressortissants et navires de certains de ces Etats s’adonnaient par exemple au pillage et à l’exploitation d’épaves historiques dans des Etats non parties 31. De plus, il n’est guère possible de considérer que l’objectif de sensibilisation du grand public aux préoccupations liées à la nécessité de protéger les épaves et autres vestiges submergés en mer soit rempli. Seuls certains évènements marquants viennent raviver une certaine fascination pour ce qui se trouve dans les profondeurs de nos océans, comme l’accident malheureux du Titan en juin 2023 qui a donné lieu à un certain nombre de discussions autour du sujet du tourisme sous-marin et des épaves, ici l’incontournable Titanic.

          L’épave du Titanic est une illustration des menaces pesant sur le patrimoine culturel subaquatique, notamment en raison de l’accès croissant aux nouvelles technologies. En effet, une partie de ce qui a été récupéré de l’épave par une entreprise de sauvetage américaine a été estimée à plus de 110 millions de dollars, valeur au combien attrayante. Et même si l’épave repose par 4000 mètres de profondeur, elle a été explorée à de nombreuses reprises grâce à des sous-marins de poche et des robots télécommandés. Avec les avancées technologiques, aucun site subaquatique ne saurait désormais être épargné par les interférences humaines. La question de sa préservation est dès lors essentielle, et si la convention de l’UNESCO représente un progrès certain en la matière, elle s’avère loin d’être parfaite, et sa mise en oeuvre laisse clairement à désirer.

        L’un de ses problèmes résiderait ainsi en ce que la protection du patrimoine culturel subaquatique est complètement dépendante des principes reconnus dans la CNUDM 32. Cela a pour conséquence que les Etats sont relativement libres dans leur gestion du patrimoine dans leurs eaux sous souveraineté, et que la conciliation des droits entre les Etats côtiers et les Etats du pavillon dans la zone contiguë, la ZEE et sur le plateau continental est ardue en matière d’archéologie sous-marine. La situation est encore moins positive dans la Zone, puisque le compromis et la prudence l’emporte sur une véritable préservation des sites et biens archéologiques submergés. Il est cependant essentiel que les Etats ratifient cette convention de l’UNESCO, qui pour insuffisante qu’elle soit, a le mérite d’exister et d’offrir un fondement juridique à la mise en oeuvre de mesures de préservation, la CNUDM s’avérant plus que déficiente en matière de protection du patrimoine culturel subaquatique.

  1. BEURIER J.-P., “Le statut juridique français des biens culturels sous-marins”, Neptunus, vol. 9, 2003/2, p. 1

  2. METCALFE T., “Qui mettra la main sur la précieuse cargaison du San José ?”, National Geographic [en ligne], nov. 2023

  3. BORDEREAUX L., “What Law for Underwater Cultural Property ?”, Neptunus [en ligne], volume 25, 2019/2, p. 1

  4. THEY M., “La Convention de l'Unesco de 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique : un succès en demi-teinte”, RDIA [en ligne], n° 4, déc. 2021, p. 34

  5. MANIATIS A., “La Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique”, Neptunus [en ligne], vol. 29, 2023/1, p. 4

  6. Ibid. p. 7

  7. THEY M. op. cit. p. 51

  8. Ibid. p. 59

  9. Ibid. p. 56

  10. Ibid. p. 57

  11. PEREZ-ALVARO E., “Human remains on underwater cultural heritage : Ethics, values and law”, Asia-Pacific Regional Conference on Underwater Cultural Heritage, 2014, p. 7

  12. UNESCO, “Rapport, recommandations et résolutions”, Troisième réunion du Conseil consultatif scientifique et technique, Paris, 20 avril 2012, p. 7

  13. THEY M. op. cit. p. 63 ; DROMGOOLE S., “Underwater cultural heritage and international law”, Cambridge University Press, 2013, n° 4, p. 330

  14. UNESCO, “Mesures juridiques et pratiques contre le trafic illicite des biens culturels”, Manuel de l’UNESCO, 2006, p. 6

  15. THEY M. op. cit. p. 64

  16. Ibid. p. 64

  17. THEY M., op. cit. p. 66

  18. UNESCO, Directives opérationnelles pour la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, juill. 2015, p. 9

  19. THEY M., op. cit. p. 69

  20. Ibid. p. 40

  21. Ibid. p.42

  22. Ibid. p.43-44

  23. MANIATIS A. op. cit. p. 5

  24. THEY M. op. cit. p. 45

  25. UNESCO, “Multilateral Underwater Archaeological Mission under the Framework of UNESCO in the Skerki Bank and the Sicilian Channel”, Skerki Bank : Fact Sheet, 2022

  26. BORDEREAUX L., “What Law for Underwater Cultural Property ?”, Neptunus, vol. 25, 2019/2, p. 2

  27. THEY M. op. cit. p. 52

  28. Commission juridique et technique de l’AIFM, “Projet de règlement relatif à l’exploitation des ressources minérales dans la Zone”; 25e session, 2019, art. 35, p. 33

  29. MA M. et LI Z., “Amendment process and comments of the provisions of underwater cultural heritage in the Draft Exploitation Regulations in the Area”, MP, vol. 140, 2022, p. 6

  30. Ibid. p. 9

  31. UNESCO, Résolutions, Conférence des Etats parties à la convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, 7e session, Résolution 4 / MSP 7

  32. BORDEREAUX L., op. cit. p. 2

BIBLIOGRAPHIE

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