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Un cadre juridique pour les drones maritimes

Ecrit par Léo Proux
15 novembre 2023

« En matière de drone, on assiste actuellement à l'émergence d'une pratique innovante avec une technologie en évolution permanente, qui induit le développement parallèle de son encadrement. » selon Célia d’Hervé, il est inéluctable que le Droit s’adapte en réponse à l’émergence de nouvelles technologies dans le secteur maritime.

 

Avant de commencer à parler du droit en vigueur, il est primordial de dresser un panorama des engins maritimes. Au sein de la grande catégorie des véhicules sous-marins sans personnel à bord (UUV’s), il y a d’un côté les drones sous-marins téléopérés (ROV’s) et d’un autre côté les robots autonomes sous-marins (AUV’s). La différence principale entre ces deux types d’engins réside dans la connexion entre l’opérateur et l’engin. Le drone sous-marin téléopéré est relié à l’opérateur par un câble ombilical, contrairement au robot autonome sous-marin. Il existe aussi des drones marins de surface téléopérés (USV)1 .

 

De par la modernité de ces technologies et de par la complexité du droit international, à ce jour le droit international est dénué de cadre juridique encadrant l’usage de ces dernières. En effet, il existe à ce jour aucune norme internationale ayant force obligatoire dans le domaine des drones maritimes.

 

Toutefois, selon une réunion du Groupe d’experts de la Commission océanographique intergouvernementale (COI) sur le statut juridique des systèmes d’acquisitions de données océaniques, il est possible de concevoir au moins trois scénarios :

  • Scénario 1 : Le drone maritime est déployé depuis un bateau-mère et est supervisé par celui-ci, alors l’engin semble rentrer dans la catégorie des “installations ou équipements de recherche scientifique dans le milieu marin” et est ainsi soumis à un régime spécifique.

  • Scénario 2 : Le drone maritime peut être considéré comme un navire au sens des conventions internationales. Dans ce cas, le droit applicable est celui issu de la partie VII de la Convention de Montego Bay, et par extension ces engins seront soumis à la juridiction de leur pavillon.

  • Scénario 3 : Le drone maritime n’est pas relié à un vaisseau-mère et n’est pas considéré comme un navire au sens du droit international. C’est le scénario le plus complexe car il paraît difficile d’identifier le statut que pourraient avoir les robots téléopérés au niveau international.

 

En conclusion, de nombreux drones maritimes décrits dans le scénario 3 sont déjà en activité, impliquant un vide juridique assez conséquent. Le régime international actuel est donc insuffisant et un nouveau cadre est nécessaire.

 

L’usage des drones maritimes engendre de nouvelles problématiques pour le droit maritime ; comment maintenir la responsabilité sécuritaire du capitaine ? Quid des obligations nécessitant une présence physique effective à bord ? Se pose aussi la question du droit social applicable dans les centres de pilotages autonomes, quelles qualifications ?2

Pour cela des États prennent les devant comme c’est le cas de la France qui se veut pionnière en la matière.

 

La France, par un arrêté du 20 mai 2020 3 et par une ordonnance du 13 octobre 2021 4 , devient l’un des premiers États à introduire les notions de drone maritime et de navire autonome dans son corpus juridique. La France fait figure de précurseur en la matière.

 

Il convient d’apporter une précision concernant l’articulation entre l’arrêté du 20 mai 2020 et l’ordonnance du 13 octobre 2021. L’arrêté fixe les modalités d’utilisation des drones maritimes dans le cadre d’une expérimentation de ces derniers, comme par exemple lorsque ces engins sont en phase de test. Les phases de test sont pour une durée de deux ans. L’ordonnance quant à elle est relative aux conditions d’utilisation des drones maritimes. Ici, il ne s’agit plus de tester son drone maritime, mais bien de l’utiliser voire de l’exploiter aussi bien à des fins personnels que professionnels.

I. Un cadre juridique pour les drones maritimes, les apports

Présentons les apports de cette nouvelle réglementation par un inventaire à la Prévert qui pourra donner le vertige.

 

L'ordonnance du 13 octobre 2021 a pour mérite de créer une nouvelle catégorie d' engins flottants, distincte des navires : les drones maritimes. Ainsi, les drones maritimes disposent d'un statut juridique autonome. Autrement dit, sauf dispositions contraires, les dispositions du Code des transports relatives aux navires ne sont pas applicables aux drones maritimes5 . Il s’agit d’une catégorie juridique sui generis reconnue.

 

Un drone maritime est désormais défini comme « un engin flottant de surface ou sous-marin opéré à distance ou par ses propres systèmes d' exploitation , sans personnel, passager ni fret à bord, et dont les caractéristiques techniques, notamment les limites de taille, de puissance et de vitesse, sont définies par voie réglementaire, sans que sa jauge brute puisse être supérieure ou égale à 100 »6 .

 

Les engins entrant dans cette catégorie, seront soumis à un régime d' exploitation allégé dans la mesure où ils ne seront pas astreints à l'obtention de titres de navigation.

 

L'ordonnance du 13 octobre 2021 soumet l'engin flottant en question à toute une série d'obligations accompagnant le statut. Il est désormais commandé par un capitaine qui est « la personne qui exerce le commandement du drone maritime »7 .

 

Il est soumis aux pouvoirs de police du représentant de l'État en mer 8

Les drones maritimes sont également soumis à des obligations en matière d'identification visuelle9 , avec un régime de sanctions en cas de défaut de celle-ci 10 .

 

Les drones maritimes devront être immatriculés et posséder un pavillon 11. Un registre d'immatriculation dédié aux drones maritimes sous pavillon français est créé pour ce faire. Ces obligations sont applicables à tout drone navigant dans les eaux territoriales françaises 12.

Les drones maritimes devront en outre respecter les règles de circulation maritime afin que les autorités de police en mer puissent effectuer leurs opérations de contrôles et assurer la sécurité de la navigation 13.

 

Les drones maritimes seront également soumis à une obligation d'assurance afin de prévenir les risques d'insolvabilité en cas d'accident 14 et il leur est appliqué un droit à limitation de responsabilité 15.

Plus globalement, l' ordonnance du 13 octobre 2021 étend aux drones maritimes les régimes de responsabilité définis par le Code des transports relatifs à la responsabilité en cas d'abordage, à l'assistance en mer, aux navires abandonnés et aux épaves 16 et rend applicable aux drones maritimes les règles relatives à la sécurité de la navigation et à la circulation maritime, avec une possible responsabilité du capitaine en cas de non-respect de ces règles 17 .

 

L' ordonnance étend à ces engins l'ensemble des dispositions du régime de propriété des navires prévu par le Code des transports 18.

Enfin, les pilotes de drones maritimes devront être titulaires d'un titre de conduite en mer et d' une formation spécifique au pilotage d'un drone maritime correspondant aux caractéristiques du drone exploité 19.

II. Un cadre juridique pour les drones maritimes, les lacunes

 

Sur la forme, il semble pertinent de rappeler le contexte démesuré lors de la création de l’ordonnance précitée. L’effroyable machine à produire du droit a encore frappé lors de la fin d’année 2021. En effet, 29 lois et 20 ordonnances ont été adoptées en l’espace de trois mois, soit à raison d’un peu plus d’un texte tous les deux jours, week-ends et jours fériés compris 20. Se pose alors la question de savoir, comment traiter un sujet aussi complexe et vague que les drones maritimes dans un délais aussi réduit ? De facto, l’ordonnance précitée pose les premiers échelons pour la construction d’un cadre juridique pour les drones maritimes.

 

Sur le fond, un projet de décret n 84-810 21 devrait voir le jour dans les mois à venir et, espérons-le, combler des vides juridiques persistants.

 

Tout d’abord, sur le plan du statut juridique du drone maritime, il faudra définir les caractéristiques techniques permettant de distinguer un drone maritime d’un navire autonome. Se pose aussi des questions s’agissant du statut juridique du drone maritime dans les eaux internationales, est-ce un accessoire du navire ou une catégorie sui generis ? Et par extension, faut-il opérer une distinction entre le drone maritime commandé depuis un navire de celui commandé depuis la terre ?22

 

Par ailleurs, sur le plan de la sécurité et de la sûreté de la navigation, des règles devront être édictées. En effet, des questions très pratiques se posent tels que comment être sûr que l'opérateur est bien derrière les écrans et qu'il a les compétences réglementaires pour piloter le drone ? Ou encore, quelles garanties sont prises pour éviter une prise de contrôle malveillante ?

 

Et enfin, sur le plan de la responsabilité, quid du régime de responsabilité ? Au regard du droit des transports, du droit commun de la responsabilité civile et du droit spécial des produits défectueux, le Droit français semble paré pour répondre aux dommages causés par un drone maritime. Toutefois, à ce jour il s’avère extrêmement compliqué de trouver un assureur qui accepte de couvrir les risques liés à l’exploitation d’un drone maritime. Ainsi, les assurances joueront un rôle majeur dans l’élaboration des règles.

 

Il faut aussi souligner que malgré l’obligation pesant sur les opérateurs de drone maritime d’enregistrer son drone maritime, il n’existe pas à ce jour de procédure d’enregistrement d’un drone maritime. De ce fait, la procédure d’enregistrement d’un drone maritime devra être mise en place par les Directions départementales des territoires et de la mer.

 

En conclusion, en réponse à l’émersion de nouvelles technologies en mer, le législateur français a élaboré une réglementation établissant les grandes lignes d’utilisations et d’exploitations des drones maritimes. Comme le souligne Philippe Delebecque, « à notre connaissance, la France est le premier pays à se doter d'une législation précise sur les navires autonomes et les drones maritimes. » La France pourra alors affirmer sa position et servir de modèle dans l’élaboration d’un cadre juridique international pour le drone maritime.

1 V.C.DECORBIERE, « Les drones maritimes », Le Droit Maritime Français, 1er décembre 2017, n 797

2 C.Hervé (dir), Comprendre les usages des drones maritimes, Dalloz, 2022

3 Arrêté du 20 mai 2020 relative aux modalités d’expérimentation de la navigation des engins flottants de surface maritime ou sous-marins, autonomes ou commandés à distance

4 Ordonnance du 13 octobre 2021 relative aux conditions de navigation des navires autonomes et des drones maritimes

5 C. transp., art. L. 5000-2-2

6 C. transp., art. L. 5000-2-2

7 C. transp., art. L. 5000-2-2

8 C. transp., art. L. 5000-2-2

9 C. transp., art. L. 5111-1 et L. 5111-1-1 : marques extérieures d’identification

10 C. transp., art. L. 5111-2 et L. 5111-3

11 C. transp., art. L. 5111-1-2 et 5111-4

12 C. transp., art. L. 5111-1-2

13 C. transp., art. L. 5241-2

14 C. transp., art. L. 5123-1

15 C. transp., art. L. 5121-5-1

16 C. transp., art. L. 5131-1, L. 5132-1, L. 5141-1 et L. 5142-1

17 C. transp., art. L. 5242-1 et L. 5263-7

18 C. transp., art. L. 5114-1 et L. 5411-2

19 C. transp., art. L. 5271-2

20 V.A.DENIZOT, « Fièvre hivernal », Revue trimestrielle de droit civil, 2022, p.212

21 PV CCS 975 REG.01

22 V. G.Poissonnier, « Drones maritimes, drones navals, le statut introuvable », Énergie-Environnement-Infrastructures, 2020, n°10, p.18-25

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