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La France a-t-elle enfin décidé de tirer tous les bénéfices de ses espaces maritimes ?

Ecrit par Léo Proux

22 février 2024

        La France s’est dotée en 2017 d’une stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML) en vue de fixer son ambition maritime sur le long terme, secondée avec une deuxième version de la SNML pour la période 2023-2029. Fort de plus de 10 millions de km2 d’espaces maritimes, la mer offre à la France un fort vecteur de développement économique : industrialisation, construction navale, activités portuaires, pêches, tourisme, énergies marines, etc. Accessoirement à la politique française de
« libérer le potentiel français » économique, une place prépondérante est accordée à la protection de l’environnement marin. En effet, parmi les quatre grands objectifs de la SNML, trois ont trait à la « protection des écosystèmes marins ». A savoir, « la transition écologique pour la mer et le littoral », « le développement de l’économie bleue durable » et « le bon état écologique du milieu marin et la préservation d’un littoral attractif ».
1

       Les espaces maritimes français sont fracturés : pêche, transport marchandise et passagers, plaisance, énergies en mer, marine nationale etc. Il est extrêmement difficile d’opérer une vision globale de ces activités maritimes et par extension d’élaborer une ligne de politique uniforme et cohérente, aboutissant ainsi à une réglementation sectorielle. 2 C’est pour cela que la SNML a pour objectif d’élaborer des documents stratégiques de façade (DSF) et des documents de bassin ultramarin en vue de définir une stratégie de développement durable de l'économie maritime et une planification des espaces maritimes. L’objectif est d’établir une vision globale des activités maritimes en France.

      En parallèle, une problématique très forte d’association du public à ce projet politique émerge. L’objectif de développement écologique durable étant « devenu un enjeu de démocratie : il est désormais acquis que l’atteindre requiert une participation du public aussi étroite et directe que possible ». 3 Le débat public apparaît alors comme l’instrument idéal. Fondements juridiques internationaux et nationaux dense 4 , le débat public permet d’instaurer « un temps de dialogue entre le maître d’ouvrage et les acteurs et les populations des territoires qui sont invités à s’informer et à s’exprimer sur l’opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales des projets, ainsi que sur les modalités ultérieures de participation ». 5

         La Commission nationale du débat public est l’instance qui garantit l’effectivité et l’efficacité du débat public. Son rôle est double : contrôler la clarté et la complétude des informations fournies au public pour que le public puisse s’exprimer en connaissance de cause et alerter les pouvoirs publics sur la faisabilité sociale des grands projets. La Commission nationale du débat public doit organiser un débat public quant à l’existence de « l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». 6

          Il est indéniable que la politique SNML aura une incidence majeure sur l’environnement marin obligeant le recours à un débat public (I), assuré par l’effectivité du droit à l’information et de la participation du public (II), dont la protection de l’environnement marin sera au cœur des débats (III).

I – La mise en œuvre d’un débat public d’envergure nationale portant sur la mer

         Il faut savoir que des débats publics relatifs à la mer ont déjà eu lieu. Pas moins de 16 débats publics entre 2010 et 2023 ont été organisés sur des projets de parcs éoliens en mer. L’objet de ces débats fut notamment la localisation des parcs éoliens, le développement de l’éolien maritime et les enjeux propres à l’espace maritime. 7

       En mars 2023, la Commission nationale du débat public a été saisie par le ministère de la Transition énergétique, le ministère de la Transition écologique, le secrétariat d'État chargé de la Mer et le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité concernant “la mise à jour des documents stratégiques de façade (DSF) et la cartographie de l’éolien en mer” sur chacune des quatre façades maritimes du territoire métropolitain :

  • Le littoral des régions Hauts-de-France et Normandie 8

  • Le littoral des régions Bretagne et Pays-de-la-Loire 9

  • Le littoral de la région Nouvelle-Aquitaine 10

  • Le littoral méditerranéen regroupant les régions Corse, Occitanie et Provence-AlpesCôtes d’Azur 11

           Nous pouvons regretter l’occultation des espaces maritimes français d’outre-mer, représentant pas moins de 96% de ces espaces maritimes.12 Lors du séminaire « CoTeMer » 13, Véronique Mondou, Maître de conférences en géographie à l’Université d’Angers expliquait en outre la sous-exploitation des capacités touristiques de la Guadeloupe et la Martinique dans le bassin des Caraïbes en comparaison à ses voisins. Il est ainsi dommage de soustraire le débat public à ces espaces maritimes, pouvant représenter à la fois le cœur mais aussi le corps maritime de la France.

L’Objet du débat se décline en quatre volets :

  • Les orientations et les objectifs de la planification maritime : c'est-à-dire, la façon dont les activités industrielles, de pêche, de production d'énergie, de transport, de loisirs et de tourisme, etc., vont cohabiter à l'horizon 2035 et 2050

  • Les objectifs de protection de l’environnement et de la biodiversité marine

  • Les objectifs de développement de l’éolien en mer et les zones potentielles de nouveaux parcs

  • Les alternatives à l’éolien en mer

           Ce débat sur la mer, ayant lieu du 20 novembre 2023 au 30 avril 2024, s’inscrit dans un contexte de développement important des énergies renouvelables ces dernières années, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le président de la République a annoncé en 2022 sa volonté de développer l’éolien en mer avec un objectif d’installation d’une cinquantaine de parcs éoliens offshore d’ici à 2050. Actuellement, la France compte 15 parcs en projet et un parc éolien en fonctionnement au large de Saint-Nazaire.

La question qui se pose est comment associer le public à ce débat ?

II – Le droit d’information et de participation au public au service de la démocratie

           Deux principes octroient de la consistance au débat public : le droit d’accéder à l’information et le droit de participer aux décisions. 14 La Commission nationale du débat public est le garant de l’effectivité du droit à l’information et du droit de participation du public.

A) Le droit d’accéder à l’information

           L’accès à une information complète est une condition nécessaire pour prendre part au débat et défendre un point de vue. La satisfaction de quelques exigences est en conséquence nécessaire pour garantir ce droit : la transparence de l’information, son accessibilité et sa compréhensibilité.

           Afin d’améliorer l’accessibilité de l’information du public sur les questions maritimes, la Commission nationale du débat public a mis en place une grande campagne d’envergure nationale se déclinant en deux volets : la mise en place d’une plateforme en ligne et la multiplication des échanges en présentiel.

 

           D’une part, le site internet de la Commission nationale du débat public consacre toute une partie sur « la mer en débat ». Présentons les axes d’informations présentés sur ce site internet par un inventaire non exhaustif à la Prévert qui pourra donner le vertige : les raisons de l’existence du débat public « la mer en débat », les enjeux des littoraux en France, les activités maritimes et littorales, l’environnement, biodiversité et climat, l’éolien en mer et la transition énergétique, les projets par façade maritime, la participation du débat, la vie du débat, les actualités, des quiz pur tester les connaissances, etc. 15

           D’autre part, la Commission nationale du débat public organise des échanges dans les plus grandes villes du littoral de l’Hexagone. Linkedin est un instrument dont ce sert la Commission nationale du débat public pour prévenir le public de l’existence de ces échanges.

           Au regard des éléments précités, nous pouvons nous demander quelle est la qualité des informations transmises par la Commission nationale du débat public sur « la mer en débat » ? Il est indéniable que l’information du public est exhaustive. Dans ce sens, l’exigence de l’accessibilité de l’information est satisfaisante. S’agissant de la transparence de l’information, elle est partiellement satisfaisante. Par exemple, l’information relative à l’environnement marin explique en quoi la biodiversité marine est aujourd’hui menacée, sans expliquer concrètement qui sont les responsables de ces pollutions.

           Et enfin, est-il possible d’affirmer la compréhension par le public de l’information fournie par la Commission nationale du débat public ? Il est vrai que l’information est simplifiée et facilement compréhensible, grâce notamment au recours à la méthode question/réponse ou encore des schémas. Toutefois, le public risque d’être noyé dans cette masse d’information. Ainsi, la bonne information du public nécessite un investissement profond du public.

B) Le droit de participer aux décisions

           Le droit à la participation est le droit de toute personne de participer, en dehors des élections, au processus décisionnel et d’exercer une « réelle influence » sur certaines décisions. En France, ce droit est principalement limité au champ environnemental, c’est-à-dire aux décisions impactant l’environnement. Il se traduit par la mise en place de procédures encadrées par la loi qui garantissent la possibilité de son exercice. L’influence du public s’exerce à travers l’échange délibératif et transparent de points de vue avec le ou les décideurs. Ainsi, le droit de participation intervient en amont du processus décisionnel, lorsque toutes les options sont ouvertes, permettant ainsi de discuter sur l’opportunité et les méthodes alternatives du projet.

           Quelle est la valeur de ce droit ? Quel est l’impact de la participation du public sur les décisions publiques ? Dans un rapport en date du 18 juin 2019 intitulé « Une nouvelle ambition pour la démocratie environnementale », la Commission nationale du débat public constate que sur les 91 projets soumis au débat public, aucun projet n'a été poursuivi sans aucune modification à l’issu du débat, 3 projets ont été abandonnés et 88 projets ont été modifiés ou infléchies à la suite du débat. En ressort de cette statistique, 59 projets ont étés modifiés c’est-à-dire que les caractéristiques et/ou objectifs ont été modifiés à l’issue du débat public.

           Ainsi, cette statistique donne l’impression d’un réel poids de la participation du public sur l'adoption de décisions publiques. Toutefois, les pouvoirs publics ne sont pas obligés de tenir compte de l’avis du public. Ainsi, la plupart des modifications des décisions publiques ne changent pas la substance du projet. De plus, la législation encadrant la participation du public en France n’impose pas au maître d’ouvrage de répondre aux arguments du public qu’ils soient présentés sous forme de questions, propositions ou contributions. Le code de l’environnement ne l’oblige qu’à indiquer les « mesures qu’il juge nécessaire de mettre en place pour répondre aux enseignements qu’il tire du débat public ». 16

           Pour combler cette lacune, la Commission nationale du débat public propose d’ « inscrire dans la loi l’obligation pour le maître d’ouvrage de répondre de manière motivée à tous les arguments et propositions du public repris dans le rapport établi par l’autorité administrative indépendante à l’issue de la procédure de participation et à ses demandes de précisions ». 17

           Dans tous les cas, le débat sur la mer a pour mérite de mettre au cœur des débats la protection de l’environnement marin.

III – La démocratie environnementale maritime à son paroxysme ?

           Le défi écologique est avant tout un défi démocratique : « Nous, citoyens, sommes prêts pour sauver le climat et la nature. Élus, aidez-nous ! » ; « Donnez aux citoyens les moyens de s’exprimer sur la sauvegarde de la planète ! ». Ces slogans ont été repris à plusieurs reprises lors de la marche mondiale pour le climat du 21 septembre 2019. Le concept de démocratie environnementale apparaît comme l’une des manifestations les plus abouties de la démocratie administrative, plaçant la « participation » des citoyens au cœur de ses réflexions. 18

           L’une des ambitions du débat sur la mer est d’associer le public à la protection de l’environnement de la mer et de sa biodiversité. L’idée est d’informer le public sur ces questions afin d’associer le public sur la définition des règles de leur protection.

Des chiffres alarmants sont avancés par la Commission nationale du débat public sur l’état de la biodiversité marine d’aujourd’hui. Pas moins de 90% des habitats marins et côtiers, ainsi que 56% des eaux de surface du littorale de l’Hexagone sont en mauvais état. 19 Parmi les pollutions de la mer, il y a les déchets flottants, les microplastiques, les déchets dans les fonds marins, les hydrocarbures, des contaminants chimiques et 80% des pollutions des océans provient de la pollution tellurique. 20

          C’est la première fois que l’ensemble de la population française est associée à un débat public sur la mer. La participation du public se fait soit en présentiel à travers les nombreuses escales du débat et/ou soit en distanciel et notamment grâce à un échange par visioconférence tous les quinze jours le mardi de 18h à 20h. Toutefois, pour participer au débat sur la mer, il faut connaître l’existence de ce débat. Or, il n’est pas évident d’affirmer que tous nos concitoyens français ont pris la mesure de ce débat.

         A ce jour, l’efficacité de la démocratie environnementale est mise à mal. Tout d’abord, il y a une demande croissante et impérieuse de nos concitoyens de peser de manière plus directe sur les décisions et les choix qui les concernent. Par ailleurs, le « millefeuille participatif », c’est-à-dire la prolifération de procédures participatives prévues par les textes qui souvent se superposent provoque une sur-sollicitation de nos concitoyens sans produire les effets escomptés. Et enfin, il est à noter une recrudescence des conflits environnementaux instaurant le besoin de créer un relation de confiance entre les décideurs, les maîtres d’ouvrages et les citoyens. 21

           Le débat sur la mer est ainsi l’occasion de tester l’efficacité du débat public. Dans tous les cas, il a pour mérite d’accorder une place prépondérante aux questions maritimes dans le paysage politique et dans la vie des citoyens français. Au vue de la complexité d’un débat d’une telle envergure, il sera intéressant de s’attarder sur la synthèse (document stratégique de façade) du débat par les décideurs politiques. Est-ce que la France arrivera-t-elle à aborder les questions maritimes dans son ensemble ? Arrivera-t-elle à développer les énergies marines renouvelables tout en permettant une amélioration de la protection de l’environnement marin ?

  1. https://www.mer.gouv.fr/strategie-nationale-pour-la-mer-et-le-littoral-une-v2-en-cours-delaboration

  2. https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2023/04/11-l-economie-bleue-en-france2022-planification-maritime.pdf, voir figure n 1 « vue d’ensemble de la politique maritime intégrée »

  3. Schrameck O., « Avant-propos », in CE, La démocratie environnementale. Un cycle de conférences du Conseil d’État, op. cit., p. 5

  4. Principe 10 de la Déclaration de Rio de 1992, Article 6-4 de la Convention d’Aarhus de 1998, Article 7 de la Charte de l’environnement

  5. S.RUI, « Débat public », Dictionnaire des politiques territoriales, 2020, p.121-126

  6. Article 7 de la Charte de l’environnement

  7. production d'énergie, protection de l'environnement et de la biodiversité, pêche, loisirs, transports, etc

  8. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat/le-debat-en-normandie-et-dans-les-hauts-de-france-4678

  9. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat/le-debat-en-bretagne-et-en-pays-de-la-loire-4681

  10. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat/le-debat-en-nouvelle-aquitaine-4679

  11. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat/le-debat-en-mediterranee-4680

  12. S.PIEL, « Espace maritime français », Office français de la biodiversité, 18 janvier 2023

  13. Séminaire organisé par Monsieur François Mandin enseignant-chercheur à Nantes Université dans le cadre du programme européen Jean Monnet "Usage et réglementation en Europe du tourisme côtier et maritime " (UE CoTeMer)

  14. Art.L120-1 du Code de l’environnement

  15. https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat

  16. Article L121-13 Code de l’environnement

  17.  Jouanno C., Casillo I., Augagneur F., « Une nouvelle ambition pour la démocratie environnementale », CNDP 18 juin 2019, p.14

  18. C.GEYNET-DUSSAUZE, « La contribution de la Commission nationale du débat public à la démocratie environnementale », Revue de droit public, n 4, p.965-995

  19. Milieu Marin France, Nature France, Ifremer, Office française de la biodiversité

  20. Office international de l’eau, Eau France, OFB

  21. Jouanno C., Casillo I., Augagneur F., « Une nouvelle ambition pour la démocratie environnementale », CNDP 18 juin 2019, p.

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