Exploitation minière des fonds marins : le commencement de la fin de l’homme ?
Par Maëva Gatineau, étudiante en Master 2 DSAMO
« Les sombres océans ont été la matrice de la vie : des océans protecteurs, la vie a surgi. Nous portons encore dans nos corps – dans notre sang, dans l’amertume de nos larmes – les marques de ce passé lointain. Revenant à son passé, l’homme dominateur actuel de la terre émergée, retourne maintenant aux profondeurs de l’océan. Sa descente dans les profondeurs marquera peut-être le commencement de la fin de l’homme, et même de la vie telle que nous la connaissons sur cette terre : cela pourrait être aussi une occasion unique de poser des fondations solides pour un avenir pacifique et une prospérité croissante pour tous les peuples ».
Ce discours de M. Arvid Pardo, ambassadeur de Malte auprès des Nations Unies, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1967, est un point fondateur de la construction du régime juridique spécifique de la zone internationale des fonds marins (ci-après, la « Zone »). Outre l’utilisation à des fins pacifiques de la Zone, M. Pardo énonce comme principe que la Zone et ses ressources devraient être considérées comme un patrimoine commun de l’humanité. Ce discours trouvera son écho par la suite dans la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (ci-après, la « CNUDM ») qui reprend ces principes dans sa Partie XI consacrée à la Zone. Le régime juridique de la Zone sera par la suite complété par l’Accord relatif à l’application de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 adopté le 28 juillet 1994 (ci-après, l’« Accord ») dont les dispositions prévalent sur celle de la Partie XI de la CNUDM en cas d’incompatibilité. Les fonds marins n’ont fait l’objet de convoitises par les Etats et les entreprises publiques et privées que récemment du fait de l’évolution des technologies et de l’intérêt croissant pour les énergies dites « vertes ». En effet, « les questions touchant au régime du fonds de la mer revêtaient un caractère théorique, faute de possibilités techniques d’en tirer quelque utilisation économique importante ». Ces questions relatives au régime juridique des fonds marins et plus particulièrement aux contours entourant leur exploitation font aujourd’hui partie « des grandes problématiques » du droit de la mer. En effet, les ressources minérales des fonds marins sont aujourd’hui convoitées pour alimenter notamment les futures batteries électriques. Cependant, des considérations environnementales se posent quant à l’exploitation de ces ressources puisque les écosystèmes des fonds marins sont encore très peu connus par les scientifiques et, de ce fait, certains Etats demandent d’appliquer un principe de précaution pour éviter des conséquences irréversibles sur ces écosystèmes fragiles. La question de l’exploitation minière des fonds marins est donc un sujet épineux et relativement récent, sur lequel les Etats n’ont pas encore trouvé de consensus au sein de l’Autorité internationale des fonds marins (ci-après l’« AIFM »).
Afin d’analyser la question épineuse de l’exploitation minière des fonds marins, il convient de rappeler dans un premier temps le régime juridique entourant la Zone (I) avant de s’intéresser au contexte actuel des discussions qui ont lieu au sein de l’Assemblée de l’AIFM et des enjeux qui y sont associés (II) puis d’envisager les perspectives futures de cette pratique avec notamment la conciliation du régime juridique de l’exploitation minière des fonds marins avec l’accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (ci-après, l’« Accord BBNJ ») (II).
I – Le régime juridique de l’exploitation minière des fonds marins : une spécificité liée au régime juridique de la Zone
Avant de développer le cadre juridique relatif à l’exploitation et l’exploration minières des fonds marins (II), il convient de rappeler le régime juridique de la Zone dont les spécificités impactent les activités devant être menées dans cet espace maritime (I).
A) Le régime juridique spécifique de la Zone
1. Le patrimoine commun de l’humanité
C’est la CNUDM, telle que complétée par l’Accord, qui régit le régime juridique de la Zone. La Zone est en effet définie à l’article 1 paragraphe 1 de la CNUDM comme « les fonds marins et leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale ». Le régime juridique de la Zone se distingue de celui de la haute mer puisque la Zone et ses ressources font partie du patrimoine commun de l’humanité. Cela signifie donc que la Zone et ses ressources ne peuvent pas être appropriées par un Etat. La CNUDM prévoit ainsi un régime d’appropriation collective pour la Zone et ses ressources qui sont inaliénables. La Zone doit par ailleurs être utilisée à des fins strictement pacifiques. L’article 140 de la CNUDM évoque quant à lui les activités qui sont menées dans la Zone et qui doivent être réalisées dans « l’intérêt de l’humanité toute entière ». La Zone a donc un régime juridique spécifique et novateur qui ne peut se confondre avec aucun autre espace marin. Les ressources issues de la Zone sont également définies par la CNUDM. L’article 133 de la CNUDM précise en effet que ces ressources sont « toutes les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses in situ qui, dans la Zone, se trouvent sur les fonds marins ou dans leur sous-sol, y compris les nodules polymétalliques ». Lorsque les ressources sont extraites de la Zone, celles-ci sont dénommées des « minéraux ».
2. L’autorité internationale des fonds marins
C’est une organisation internationale, l’Autorité internationale des fonds marins, qui est chargée de réglementer les activités qui ont lieu dans la Zone dans l’intérêt de l’humanité toute entière. L’AIFM doit également garantir la protection du milieu marin en prenant les mesures nécessaires, dans le cadre des activités menées dans la Zone, pour garantir de manière efficace la protection de ce milieu. L’AIFM est composée de trois principaux organes de décision : — l’Assemblée : il s’agit de « l’organe suprême » de l’AIFM qui est chargé d’établir les politiques générales de l’AIFM ; — le Conseil : composé de 36 membres, il s’agit de l’organe qui détient le pouvoir normatif ; et — la Commission juridique et technique : il s’agit d’une commission composée de 41 membres qui propose des recommandations au Conseil. Le schéma suivant, issu du site internet de l’AIFM, présente de façon détaillée les différents organes – et leur rôle respectif – qui composent l’AIFM :
B) Le régime juridique de l’exploration et de l’exploitation des fonds marins
A la suite de la signature de l’Accord, une seule modalité d’exploration et d’exploitation des fonds marins existe désormais : les activités menées dans la Zone le sont par des Etats parties ou par des entreprises, des personnes physiques ou morales qui ont la nationalité d’un des Etats parties et qui sont patronnées par l’un de ces derniers. L’AIFM doit ainsi donner en concession une partie de la Zone ; une autorisation de l’AIFM pour mener ces activités est donc nécessaire et doit s’établir dans le cadre d’un contrat. Cette autorisation doit également être approuvée par le Conseil. Les Etats ne sont pas exempts de toute responsabilité puisqu’ils ont une obligation de « diligence due » dans le cadre du patronage d’une entreprise pour exercer 6 des activités dans la Zone. Ils ont ainsi l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les dispositions de la CNUDM ainsi que les règles adoptées par l’AIDM soient respectées par l’entité qu’ils patronnent.
L’AIFM a déjà élaboré un ensemble de règles qui sont communément appelées le « Code minier ». Ces textes sont les suivants :
- le règlement relatif à la prospection et à l’exploration des nodules polymétalliques du 13 juillet 2000, tel que modifié par la décision du Conseil de l’AIFM du 22 juillet 2013 ;
- le règlement relatif à la prospection et à l’exploration des « sulfures polymétalliques » du 7 mai 2010 ; et
- le règlement relatif à la prospection et à l’exploration des « encroûtements cobaltifères de ferromanganèse » du 27 juillet 2012.
A ce jour, l’AIFM a conclu 31 contrats d’exploration. Comme nous l’avons vu, les règlementations adoptées par l’AIFM sont toutes relatives à l’exploration. En effet, les réglementations relatives à l’exploitation font l’objet de nombreux débats. Les Etats n’ont toujours pas trouvé de consensus et la situation fait aujourd’hui l’objet d’un statut quo. Les enjeux sont cependant nombreux, tant sur le plan économique qu’environnemental.
II – Contexte et enjeux de l’exploitation minière des fonds marins
La possibilité pour les entreprises d’exploiter les fonds marins fait aujourd’hui l’objet de nombreux débat au sein de l’Assemblée de l’AIFM, les Etats n’étant pas d’accord entre eux à ce sujet. Il convient donc de rappeler le contexte politique entourant l’exploitation minière des fonds marins (I) avant d’aborder les enjeux économiques et environnementaux qui sont liés à cette activité.
A) Eléments de contexte politique entourant l’exploitation minière des fonds marins
Le paragraphe 15 de l’Annexe I de l’Accord prévoit que, si un Etat patronnant une entreprise qui envisage d’exploiter les fonds marins fait une demande en ce sens auprès de l’AIFM, celle-ci doit adopter, via son Conseil, une règlementation relative à l’exploitation des fonds marins dans un délai de deux ans suivant la demande déposée par l’Etat partie patronnant. Cette disposition est communément appelée la « règle des deux ans ». A défaut de mise en œuvre de cette règlementation dans le délai imparti des deux ans, le Conseil se doit d’examiner toute demande d’approbation d’un plan de travail effectuée par une entité parrainée par un Etat partie sur la base des dispositions de la CNUDM et de l’Accord.
Or, par une lettre en date du 25 juin 2021, la République de Nauru a déposé une telle demande auprès de l’AIFM pour l’entité Nauru Ocean Resources Inc., filiale de l’entreprise The Metal Company, qui est patronnée par la République de Nauru et qui souhaite déposer une demande pour exploiter les fonds marins dans la zone Clarion-Clipperton. Le Code minier devait donc être finalisé à l’été 2023 pour respecter la règle des deux ans édictée dans l’Accord. Cependant, les Etats n’ont pas réussi à trouver de consensus : certains Etats soutenant l’exploitation minière des fonds marins (Nauru, le Mexique et la Norvège notamment) tandis que d’autres souhaitent un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins en l’absence de données scientifiques solides (Allemagne, Chili, France, Nouvelle-Zélande, Costa Rica, notamment). Ainsi, la France a participé au développement de la mise en place d’une coalition regroupant les Etats s’opposant à l’exploitation minière des fonds marins. Trente-deux Etats soutiennent à ce jour un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins, faute de connaissances scientifiques suffisantes.
Les Etats parties s’étaient donc réunis à Kingston en juillet 2023 et n’ont pas trouvé de consensus ni pour l’adoption d’un code minier ni pour la mise en place d’un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. Il avait été décidé lors de cette réunion de ne pas accorder de licence d’exploitation en l’absence d’adoption d’un code minier et de reporter l’adoption d’un tel code d’ici 2025. La réunion de l’Assemblée de l’AIFM en juillet 2024 n’a pas non plus débouché sur un consens et le statut quo demeure : il n’y a toujours pas de position quant à l’adoption d’un code minier ou d’un moratoire concernant l’exploitation des fonds marins. L’exploitation minière des fonds marins est donc sujette à un vide juridique dans l’état actuel des négociations.
B) Les enjeux économiques et environnementaux
L’intérêt pour les entreprises d’exploiter les fonds marins réside dans le fait qu’ils sont riches en métaux rares : cobalt, nickel et magnésium notamment. Or, ce sont précisément ces métaux qui sont nécessaires à la transition énergétique et notamment au développement des batteries électriques. Ces métaux sont également présents sur terre mais (i) ils le sont en moins grande quantité et (ii) l’exploitation de ces métaux sur terre se fait généralement dans des conditions qui ne respectent pas les droits de l’homme et dans des pays connaissant des problèmes de corruption.
Cependant, ce procédé n’est pas sans conséquence pour l’environnement. Tout d’abord, il convient de rappeler que les écosystèmes des grands fonds marins sont encore peu connus par les scientifiques qui découvrent encore de nouvelles espèces dans les abysses. En l’état des connaissances actuelles, environ 250.000 espèces des fonds marins seraient connues à ce jour alors que les scientifiques estiment que le nombre d’espèces de cet écosystème se situeraient entre un et dix millions. Cette profusion d’espèces insoupçonnées fait donc peser un risque environnemental si les fonds marins sont exploités in fine. Ces écosystèmes, dont les perturbations anthropiques sont encore limitées, sont fragiles et l’absence de connaissances scientifiques ne permet pas d’évaluer les risques associés à l’exploitation minière des fonds marins. Cependant, les scientifiques avancent que l’exploitation minière des fonds marins conduirait à remuer de nombreux sédiments avec les machines utilisées pour extraire les métaux précieux, ce qui aurait pour conséquence de libérer ces sédiments dans d’autres écosystèmes (les sédiments ayant une propension à se mouvoir sur de longues distances au gré des courants). La turbidité de l’eau pourrait également augmenter, affectant potentiellement les poissons et leurs larves. Enfin, des métaux toxiques pourraient également être rejetés lors de l’utilisation des machines dans les fonds, comme le plomb ou le mercure, pouvant ainsi polluer le milieu marin sur de vaste distance.
De même, la biodiversité qui est présente dans les fonds marins ne fait pas partie des ressources minérales de la Zone, telles que définies dans la CNUDM. Les ressources appelées les « ressources génétiques marines », font désormais l’objet d’un cadre juridique spécifique avec l’Accord BBNJ qui doit encore recueillir les ratifications nécessaires pour entrer en vigueur. Cependant, l’exploitation minière des fonds marins aura inévitablement des conséquences sur ces ressources génétiques marines, peu importe qu’elles soient couvertes ou non par le régime juridique de la Zone. Il apparaît donc pertinent de s’intéresser sur les perspectives futures de l’exploitation minière des fonds marins au travers notamment de l’articulation – qui n’apparaît pas aisée – avec le régime juridique issu de l’Accord BBNJ.
III – Les perspectives futures de l’exploitation minière des fonds marins
Il convient de rappeler dans un premier temps les objectifs sous-tendant l’Accord BBNJ et les apports de ce texte qui a été considéré comme « historique » (I) avant d’aborder la conciliation du régime juridique issu de l’Accord BBNJ avec celui de la Zone (II).
A) Les objectifs de l’Accord BBNJ
L’Accord BBNJ a été considéré comme « historique » notamment car il est le fruit d’âpres négociations qui ont duré plus de vingt ans. Ainsi, le 19 juin 2023 a été adopté à New York un accord relatif à la CNUDM et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Ces zones qui ne relèvent pas de la juridiction nationale sont donc la haute mer et la zone internationale des fonds marins. Cet accord a pour objectif de « lutter de manière cohérente et coopérative, contre la perte de diversité biologique et la dégradation des écosystèmes de l’océan (…) ». Cet accord vise à combler les lacunes du droit international en créant un régime juridique spécifique à la biodiversité marine située au-delà des zones sous juridiction nationale. Ce régime spécifique concerne les ressources génétiques marines qui sont définies à l’article premier de l’Accord BBNJ comme « tout matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, qui contient des unités fonctionnelles de l’hérédité ayant une valeur effective ou potentielle ». Avant l’Accord BBNJ, les ressources génétiques marines ne faisaient l’objet d’aucun cadre juridique. Ce cadre juridique n’est cependant pas encore en vigueur puisque le nombre de ratifications nécessaires n’est pas encore atteint.
L’objectif de l’Accord BBNJ est donc d’avoir une gouvernance des océans moins fragmentée, en proposant une coopération entre les différents acteurs, et en établissant des règles contraignantes pour les Etats dans le cadre des zones situées au-delà de la juridiction nationale. L’Accord BBNJ contient quatre apports principaux : (i) la mise en place d’un régime juridique pour les ressources génétiques marines, (ii) la possibilité pour les Etats parties de créer des outils de gestion par zone, en ce inclus les aires marines protégées au-delà de la juridiction nationale, (iii) la mise en œuvre d’études d’impact environnemental et (iv) le transfert de technologies envers les Etats parties en développement.
B) La conciliation de l’exploitation minière des fonds marins avec le régime juridique issu de l’Accord BBNJ
L’article 5, paragraphe 2 de l’Accord BBNJ stipule que « le présent Accord est interprété et appliqué d’une manière qui ne porte pas atteinte ni au instruments et cadres juridiques pertinents, ni aux organes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels pertinents, et qui favorise la cohérence et la coordination avec ces instruments, cadres et organes ». Ainsi, l’Accord BBNJ ne porterait pas atteinte à une éventuelle future exploitation minière des fonds marins puisque celle-ci relève du régime juridique de la Zone et donc de la compétence de l’AIFM. Les ressources minérales de la Zone sont donc exclues du champ de l’Accord BBNJ. Cependant, les activités d’exploitation qui seront potentiellement menées dans la Zone affecteront la biodiversité marine de la Zone et donc les ressources génétiques marines qui elles relèvent du cadre juridique de l’Accord BBNJ. De même, il est également possible d’entrevoir que les activités menées dans la Zone auront également un impact qui ne se limitera pas à cet écosystème et pourront potentiellement affecter la colonne d’eau qui relève du régime juridique de la haute mer. Les deux régimes juridiques, celui de la Zone et celui développé dans le cadre de l’Accord BBNJ, ne semblent donc pas harmonisés. Il existe pourtant une interconnexion entre les ressources minérales de la Zone et les ressources génétiques marines (ces deux ressources sont présentes dans les mêmes écosystèmes et l’exploitation de l’une des deux ressources affectera donc l’autre). Ainsi, si des ressources génétiques marines sont collectées par les entreprises réalisant l’exploration ou l’exploitation des fonds marins, cette collecte devrait donc être soumise au cadre juridique de l’Accord BBNJ.
Afin d’établir une cohérence entre les différents régimes juridiques existants et les différentes parties, l’article 8 de l’Accord BBNJ prévoit une coopération internationale entre les différents organes existants. L’un des outils principaux pour une protection effective de la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale prévu dans l’Accord BBNJ est la possibilité pour les Etats parties de mettre en place des aires marines protégées. Ainsi, des consultations avec l’AIFM doivent être menées lorsque les propositions d’aires marines protégées concernent la Zone ou sont situées à proximité de celle-ci. La coopération de l’AIFM et son degré d’ouverture seront donc primordiaux pour assurer l’effectivité des outils de gestion prévus dans l’Accord BBNJ.
L’un des autres points importants de l’Accord BBNJ est qu’il prévoit la mise en place d’évaluations d’impact environnemental qui sont définies comme les procédures « visant à recenser et à évaluer les impacts qu’une activité peut avoir en vue d’éclairer une prise de décision ». Cependant, ces études d’impact ne peuvent pas concerner les activités réalisées dans la Zone et l’exploitation minière des fonds marins est donc exclue du champ de compétence de l’Accord BBNJ. Or, comme nous l’avons vu précédemment, l’exploitation minière des fonds marins a des impacts environnementaux considérables sur la biodiversité présente dans les fonds marins dont de nombreuses espèces restent encore à découvrir. Ainsi, l’objectif de préservation de la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale affiché dans l’Accord BBNJ pourrait se heurter en pratique au régime juridique de la Zone et aux activités qui y sont menées. L’effectivité de l’Accord BBNJ dans la Zone dépendra donc de « la capacité de l’AIFM à imposer des exigences environnementales rigoureuses aux Etats souhaitant se lancer dans l’exploitation minières ». De même, ces évaluations environnementales restent limitées dans le cadre de la biodiversité marine présente dans la Zone puisque les scientifiques disposent à l’heure actuelle de très peu de connaissances sur ces écosystèmes ; sans connaissances scientifiques, il est difficile d’évaluer l’impact d’une activité sur la biodiversité marine.
Conclusion
L’exploitation minière des fonds marins est donc un sujet relativement récent qui s’est développé à la suite des avancées technologiques. L’évolution des technologies pose désormais des problématiques juridiques afin de combiner à la fois les règles relatives à la protection du milieu marin et le principe de précaution tout en menant des activités économiques dans la Zone. L’absence de connaissances scientifiques de ces écosystèmes fragiles ne permet cependant pas d’évaluer correctement les conséquences d’une telle activité sur ces écosystèmes et la biodiversité des grands fonds. L’Accord BBNJ, structurant un régime juridique pour les ressources génétiques marines, ne prévoit cependant pas de règles claires quant à son articulation avec le régime de la Zone alors que les ressources minérales de la Zone et les ressources génétiques marines qui y sont également présentes sont interconnectées. Il est donc difficile d’appréhender en pratique l’articulation de ces deux régimes dont les objectifs peuvent apparaître contradictoire : bien que l’AIFM doive assurer la protection du milieu marin de la Zone, elle doit également permettre l’exploitation des ressources minérales de celle-ci alors que l’objectif de l’Accord BBNJ est de préserver la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale et d’utiliser les ressources marines d’une manière durable. La protection de l’environnement tout en permettant l’exploitation des fonds marins semble donc contradictoire. Rien n’est d’ailleurs précisé dans l’Accord BBNJ quant à l’articulation de ces deux régimes.
Ce sujet épineux est d’autant plus d’actualité que la convoitise des entreprises pour ces métaux rares présents dans la Zone est de plus en plus forte. Le parlement norvégien a par exemple voté une loi pour permettre l’exploration minière dans les zones sous sa juridiction en début d’année. L’objectif initial du gouvernement norvégien était d’ouvrir l’exploitation des fonds marins sous sa juridiction sans se limiter à leur exploration mais la pression des ONG et de la société civile a fait reculer le Parlement norvégien. Cependant, il ne pourrait s’agir que d’une première étape conduisant in fine à l’autorisation de l’exploitation des fonds marins sous juridiction norvégienne (dont la possibilité sera de nouveau examinée par le Parlement norvégien). Il y a donc un intérêt de plus en plus prégnant pour ces activités qui est renforcé par la transition vers des énergies dites décarbonées. S’agit-il donc du début du commencement de la fin de l’homme comme se questionnait Arvid Pardo ? Un écosystème jusqu’alors peu impacté par la pression anthropique – faute de technologies disponibles – risque donc de subir des pressions irréversibles avant que les scientifiques n’aient pu découvrir toutes ses richesses et ses particularités. La transition vers des énergies « vertes » se fera-t-elle au détriment de la biodiversité et, compte tenu des interrelations entre les espèces, au détriment de l’humanité ?
Sources et Bibliographie
Sources :
Conventions internationales
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1834, p. 3.
Accord relatif à l’application de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, New York, 28 juillet 1994, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1836, p. 3.
Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité́ biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, New York, 19 juin 2023.
Règlementation de l’Autorité internationale des fonds marins
Règlement relatif à la prospection et à l’exploration des nodules polymétalliques du 13 juillet 2000, tel que modifié par la décision du Conseil de l’AIFM du 22 juillet 2013, ISBA/19/C/17 et ISBA/19/A/9.
Règlement relatif à la prospection et à l’exploration des « sulfures polymétalliques » du 7 mai 2010, ISBA/16/A/12/Rev.1.
Règlement relatif à la prospection et à l’exploration des « encroûtements cobaltifères de ferromanganèse » du 27 juillet 2012, ISBA/18/A/11.
Assemblée générale des Nations Unies
Discours de M. Arvid Pardo, Assemblée Générale des Nations Unies, 22e session, Première commission, 1515e séance, 1er novembre 1967, New York, « Point 92 de l’ordre du jour : examen de la question de l’affectation à des fins exclusivement pacifiques du lit des mers et des océans ainsi que de leur sous-sol, en haute mer, au-delà des limites de la juridiction nationale actuelle, et de l’exploitation de leurs ressources dans l’intérêt de l’humanité ».
Droit français
Résolution invitant le Gouvernement à défendre un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins adoptée le 17 janvier 2023 par l’Assemblée Nationale, n° 61.
Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la protection de la biodiversité marine en haute mer, Compte rendu de l’audition publique du 29 février 2024 et de la présentation des conclusions du 4 avril 2024 par Mme Mereana Reid Arbelot, députée, n° 2443 et n° 511.
Jurisprudence
TIDM, Avis consultatif, Responsabilité́ et obligations des Etats qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone (Demande d’avis consultatif soumise à la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins), 1er février 2011, aff. n° 17.
Bibliographie :
Ouvrages
DUPUY René-Jean., L’océan partagé : analyse d’une négociation, A. Pedone, 1979, 291 pages.
CHAUMETTE Patrick (dir.), BOILLET Nicolas, BORE EVENO Valérie, DELFOURSAMAMA Odile, DEVAUX Caroline, GAURIER Dominique, HUTEN Nicolas, LEROUX Mylène, MANDIN François, MONTAS Arnaud, NDENDE Martin, PROUTIEREMAULION Gwenaëlle, REZENTHEL Robert, THOMAS Florian, Droits Maritimes, 4e édition, Paris, Dalloz, 2021, 1910 p.
Articles de doctrine
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MESSIGA Kokougan, « La responsabilité internationales des Etats dans les espaces internationaux : le cas de la Zone internationale des fonds marins », in CHAUMETTE Patrick, Transforming the ocean law by requirement of the marine environment conservation – Le droit de l’océan transformé par l’exigence de conservation de l’environnement marin, Marcial Pons, 2019.
ROBB Samantha, JAECKEL Aline, BLANCHARD Catherine, “How could the BBNJ Agreement affect the International Seabed Authority’s Mining Code?”, Blog of the European Journal of International Law, 13 avril 2023 : https://www.ejiltalk.org/how-couldthe-bbnj-agreement-affect-the-international-seabed-authoritys-mining-code/.
REWATKAR Digvijay, “Regime interaction between deep sea mining and the conservation of biodiversity in areas beyond national jurisdiction”, 13 avril 2023 : https://cil.nus.edu.sg/blogs/regime-interaction-between-deep-sea-mining-and-the-conservation-of-biodiversity-in-areas-beyond-national-jurisdiction/.
ROSENBERG Daniel, « The legal fight over deep-sea resources enters a new and uncertain phase”, Blog of the European Journal of International Law, CIL Dialogues, 22 août 2023, Blog of the European Journal of International Law, https://www.ejiltalk.org/the-legal-fight-over-deep-sea-resources-enters-a-new-and-uncertain-phase/.
WRIGHT Glen, CREMERS Klaudija, ROCHETTE Julien, « Course vers les fonds marins : des questions en suspens, des précautions à prendre », IDDRI, Décryptage n°04/23, Mai 2023 : https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Décryptage /202305-IB0423-fonds%20marins.pdf.
Article scientifique
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Articles de presse
GURDJIAN Chloé, « Plus de 100 nouvelles espèces, une gigantesque montagne sous-marine… Une expédition en haute mer permet des découvertes époustouflantes », Géo, 23 février 2024 : https://www.geo.fr/animaux/chili-plus-de-100-nouvelles-especes-gigantesque-montagne-sous-marine-expedition-haute-mer-permet-decouvertes-epoustouflantes-218964.
GARCIA Sascha, « Expédition marine au large du Chili : “La découverte de nouvelles espèces est primordiale car elles nous rendent des services inestimables”, Libération, 28 février 2024 : https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/decrire-la-vegetation-marine-dans-les-endroits-recules-de-locean-cest-travailler-sur-son-potentiel-a-reguler-le-climat-20240228_NKVK6IURABBFFMT6RYH3T4RUSU/.
SCHARFF Marie, « Exploitation minière des fonds marins : une victoire en demi-teinte pour les opposants », Actu Environnement, 5 août 2024 : https://www.actu-environnement.com/ae/news/exploitation-miniere-fonds-marins-fin-congres-AIFM-44569.php4.
TORQUEBIAU Marion, « Métaux rares : la Norvège veut creuser dans ses fonds marins », Les Echos, 21 juin 2023 : https://www.lesechos.fr/monde/europe/metaux-rares-la-norvege-veut-creuser-dans-ses-fonds-marins-1954343.
VALO Martine, « Ce que prévoit le traité sur la haute mer, étape historique dans la protection des océans », Le Monde, 9 mars 2023 : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/09/protection-des-oceans-ce-que-change-le-traite-sur-la-haute-mer_6164762_3244.html.
Communiqué de presse
AIFM, Communiqué de presse, « Nauru demande au Président du Conseil de l’ISA d’achever l’adoption des règles, règlements et procédures nécessaires pour faciliter l’approbation des plans de travail pour l’exploitation dans la Zone » : https://www.isa.org.jm/news/nauru-requests-president-isa-council-complete-adoption-rules-regulations-and-procedures/