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Mer des Hommes

Ecrit par Basile Le Jeune

Le 19 mars 2024

          Dans son magnifique Terre des hommes, Saint-Exupéry écrivait : « La mer fait partie d’un monde qui n’est pas le mien. La panne, ici, ne me concerne pas, ne me menace même pas : je ne suis point gréé pour la mer ». Nous exposerons ici les écrits de ceux qui ont choisi de l’être. Ceux qui ont fait de la mer leur vie, leur travail, leurs plus belles joies et leurs plus grandes souffrances. « Des hommes » n’est pas utilisé ici pour sous-entendre que la mer leur appartient : ces hommes là ne savent que trop bien qu’ils ne pourront jamais la dominer. Ils s’y adaptent, apprennent à vivre selon ses lois. La mer n’est pas joueuse, pas plus qu’elle n’est cruelle : elle est brute, indifférente aux sentiments qu’elle inspire, aux maux qu’elle cause. Ces ouvrages dévoilent le portrait de ceux qui ont choisi d’accepter la danse.

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L’Abeille d’Ouessant, Hervé Hamon, 1999, Seuil

          Ouessant, bout du monde. L’Abeille Flandre est sur son coffre du Stiff, période des tempêtes oblige. Hervé Hamon livre le récit passionnant d’une année passée à bord de ce remorqueur de légende. Il raconte les opérations de sauvetage et d’assistance, plus haletantes les unes que les autres. Il raconte le quotidien, aussi. L’attente à quai, l’attente en mer, l’attente de reprendre la mer que l’on ne quitte jamais réellement. Ce quotidien, il le partage avec les hommes de l’Abeille dont il écrit les traits d’esprit et le caractère : bien trempés. Ces hommes qui dédient leur vie à veiller sur celles des autres, et dont l’auteur questionne les motivations :

« J’insiste. L’autre, alors, plante ses yeux dans les miens, plisse le front où les rides sont très creuses, et me dit :

- Je pose un postulat. Je postule que ce que je fais, n’importe qui le ferait pour moi.

- Es-tu sûr qu’il le ferait ?

- Je viens de te le dire. C’est ma décision, mon hypothèse. Je ne suis pas dupe de la méchanceté ni de la lâcheté de mes semblables. Je pose un postulat »

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Vagabond des mers du sud, Bernard Moitessier, 1960, Arthaud

        Il aura inspiré les plus grands marins du monde. Bernard Moitessier, navigateur, bricoleur, écrivain, philosophe, raconte sa première traversée en solitaire de l’océan Indien à bord de sa Marie-Thérèse qu’il éventrera sur les récifs des Chagos. De la construction de Marie-Thérèse II, de leurs longues navigations et de leurs plus longues escales, l’auteur offre un formidable récit de navigation, de fraternité, de débrouille, d’échecs. Il ouvre une porte sur un mode de vie magnifiquement simple et montre que l’on peut apprécier les dures lois que la nature nous offre. Son monde est fait d’amour pour ses bateaux, d’eau turquoise, de corned-beef en conserve et de galères. L’on aura rarement autant envié d’être, aussi, un vagabond.

« Il est l'heure d'étendre mes voiles blanches à la petite brise qui me dit que le temps est venu de partir une fois encore vers cette ligne d'horizon que mon bateau n'atteindra jamais. Mais derrière cet horizon se trouvent d'autres terres, d'autres amis que je voudrais aussi connaître un peu avant d'avoir à les quitter. Destinée du marin, toujours insatisfait, qui croit que ce qu'il cherche se trouve toujours plus loin, sur l'autre rive... »

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Mémoires du large, Eric Tabarly, 1997, Le Livre de poche

         Aux acclamations populaires des Champs Elysés, il aura préféré le bruissement de la mer fuyant sous son Pen Duick. Les côtes bretonnes auront fait d’Eric Tabarly un marin hors-pair, parmi les plus grands de tous les temps. Modèle de détermination et d’humilité, il aura imposé la course au large française sur la carte. Ces mémoires retracent sa vie : il y raconte ses victoires et leurs équipiers, ses navires et leurs déboires, ses innovations et leurs difficultés. Qualifié à tort de « taiseux », la lecture de ce livre témoigne à l’inverse d’un esprit littéraire remarquable. Il faut dire que la brise ne forme pas des tendres.

« Le métier de marin est un métier d’humilité, qui exige un long apprentissage. La mer punit les bravaches. Naviguer est une activité qui ne convient pas aux imposteurs. Dans bien des professions, on peut faire illusion et bluffer en toute impunité. En bateau, on sait ou on ne sait pas. Malheur aux tricheurs. L’océan est sans pitié »

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Le Loup des mers, Jack London, 1904, Libretto

       Il ne s’agit pas seulement d’un roman maritime. Jack London insère dans ses personnages bon nombre d’éléments autobiographiques : il l’a connue, cette chasse aux phoques dans le Pacifique. C’est à bord du Fantôme, sous l’autorité du terrible Loup Larsen, que ces expériences se mêlent à la fiction. Ce Loup Larsen, la mer l’aura forgé en un monstre de froideur et de mélancolie. La cruauté des hommes du bord frappe le héros, Humphrey van Weyden. Les valeurs en lesquelles il croyait sont balayées par la houle, son esprit bousculé par le tumultueux capitaine. Cette lecture renseigne sur la condition d’une génération de marins.

« L’homme s’agite, n’est-ce pas aussi le propre de la méduse ? Voilà le fin mot. Il s’agite pour satisfaire son ventre, lequel à son tour le maintient en vie. C’est un cercle : personne n’arrive nulle part. Un beau jour, on s’arrête de s’agiter. On est mort. »

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