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Cap vers un Transport Maritime International décarboné : l’Intelligence Artificielle à la barre !
Par Marius Delplanque-Barret, étudiant en Master 2 DSAMO
Le jeudi 17 octobre 2024, quatre étudiants du Master 2 de Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques de Faculté de droit de Nantes (DSAMO) prenaient la parole à l’occasion du Colloque organisé par le Centre de Droit Maritime et Océanique (CDMO), le Laboratoire d’Économie et de Management de Loire-Atlantique (LEMNA) et le Cluster Cargo, intitulé : « La décarbonation du transport maritime face au commerce international : des enjeux irréconciliables », ayant eu lieu à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Nantes. Leur plaidoyer avait pour sujet l’utilisation des Intelligences Artificielles au sein du transport maritime international, et ce, à des fins de décarbonation de ce dernier.
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Légende : L'intervention des étudiants durant le colloque
« ChatGPT », « Microsoft Copilot », « Gemini », « Midjourney » ou encore « Perplexity »... Ces noms doivent sûrement vous mettre la puce à l’oreille… Nous parlons ici d’illustres systèmes d’Intelligences Artificielles, aux fonctions diverses : génération de contenu, images, vidéos, réponses aux interrogations humaines, solveurs de problèmes complexes, etc.
L’essor des Intelligences Artificielles est bel bien là. Face à de tels développements technologiques, l’Homme est désormais contraint dans sa vie professionnelle de composer avec les Intelligences Artificielles…
Le célèbre et controversé entrepreneur Elon Musk a à ce titre récemment affirmé sur le réseau social « X » que l’IA serait : « probablement plus intelligente que n'importe quel être humain » et ce, dès l’année 2025. Le patron de Tesla en est venu même à affirmer qu’à l’horizon 2029 : « L’IA sera probablement plus intelligente que tous les humains réunis ».
Dès lors, nous pouvons nous questionner sur le fait que les Intelligences Artificielles soient de simples « gadgets » ou bien au contraire de véritables « outils », solveurs et facilitateurs du travail de l’Homme et des problématiques rencontrées par ce dernier ?
Des Intelligences Artificielles au service de l’Homme et utilisées à des fins de décarbonation du transport maritime international ?
L’intervention estudiantine commence par les propos de Léa Blin, apprentie juriste maritimiste : « Le transport maritime représente aujourd’hui environ 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2. Pour lutter contre le dérèglement climatique, protéger les écosystèmes marins ou encore satisfaire des consommateurs de plus en plus sensibles aux enjeux environnementaux, il est indispensable d’innover vers des technologies plus propres ».
Selon les dires de l’étudiante en Master 2 DSAMO : « Ces innovations, loin d’être un fardeau pour les entreprises, représentent en fait des opportunités économiques, renforçant la compétitivité des entreprises adoptant des pratiques plus durables. »
L’étudiante en Droits Maritimes estime à ce titre que la décarbonation du transport maritime est à la fois : « un enjeu crucial pour l’environnement, la santé publique, mais également l’économie ».
Léa propose face à de tels enjeux et à l’aide de ses camarades de Master 2 DSAMO, Marius Delplanque-Barret, Victor Averty et Anaëlle Mvolo, la « création d’un système basé sur l’IA (Intelligence artificielle) permettant l’optimisation des itinéraires de navigation des navires ».
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Légende : Intelligences Artificielles (IA) et industrie maritime (© DR)
Elle propose entre autres, à l’aide de ces systèmes automatisés d’ : « équiper les navires de capteurs et de systèmes de collecte des données permettant de surveiller en temps réel divers paramètres tels que la consommation de carburant, la vitesse, les conditions météorologiques et les courants marins », de : « développer ensuite des algorithmes capables d'analyser ces données et de fournir des recommandations sur les meilleurs itinéraires à suivre, la vitesse optimale à maintenir, et les moments les plus favorables pour naviguer ».
Il s’agirait encore d’ : « intégrer ces algorithmes dans un système de planification qui ajuste les itinéraires en fonction des conditions maritimes, des ports de destination, et des réglementations en matière d'émissions ».
Optimisation et utilisation intelligente de l’énergie à bord, meilleure gestion des systèmes électriques via l’exploitation d’énergies renouvelables (cf. : énergie solaire ou éolienne) seraient ainsi autant davantage de la mise en place de ces IA à la disposition des navires.
Reste-t-il, pour assurer la pérennité de l'utilisation de ces IA au sein du transport maritime, que celles-ci soient soumises à des mises à jour régulières afin d’être conformes aux diverses règlementations en vigueur.
Les objectifs de l’implémentation de ces Intelligences Artificielles dans le secteur maritime seraient ainsi les suivants : « réduire l’empreinte carbone que représente le transport maritime international » mais aussi : « assurer une efficacité opérationnelle et la durabilité de ce dernier, avec des économies sur les coûts de carburant conséquents pour les armateurs ».
Une mise en œuvre ardue du point de vue de la gouvernance des données et de la nécessité d’une standardisation des règles en la matière
Sur le papier, les Intelligences Artificielles au service du secteur maritime semblent offrir des « horizons prometteurs » mais aussi « de nombreux défis », comme le souligne Marius Delplanque-Barret, étudiant en Master 2 DSAMO à Nantes Université.
Ce dernier se questionne à ce titre quant à la capacité des « acteurs étatiques présents sur la scène internationale ou à de moindres échelles » à uniformiser les diverses règlementations en matière d’ « IA ».
« Rien ne nous assure en effet qu’un État X ne s'inscrive dans la même lignée qu’un État Y en termes de politique et de gouvernance des données. Nous pourrions nous retrouver dans une situation où un État donné sera plus enclin à l’utilisation de ces systèmes automatisés dans sa flotte, plutôt qu’un autre », s’exclame l’étudiant en Droits maritimes.
Selon l’apprenti-juriste maritimiste, à défaut d’un cadre juridique « clair » et « harmonisé » en la matière, nous ne pourrons guère facilement déployer ces nouvelles technologies pour les bienfaits de l’industrie maritime et qui plus-est à des fins environnementales.
L’étudiant juriste interroge l’audience quant à la capacité des compagnies maritimes à l’avenir de lisser et de conformer leurs règlementations en matière d’IA, en fonction de la zone maritime traversée. « Si une zone maritime est soumise à des règlementations en termes d’IA strictes, que d’autres sont en revanche régies par des législations plus laxistes ; dans quelle mesure les compagnies maritimes doivent-elles ajuster leurs systèmes d’IA, en fonction de la zone traversée ? », s’interroge-t--il.
Une problématique potentielle et majeure serait donc ce besoin du côté des compagnies maritimes et de leur flotte de se conformer sans cesse à des normes « hétérogènes » ; représentant ainsi un coût « temporel » et, par la même, un coût « financier ».
Sur un plan plus concret, comment cette optimisation des trajectoires de navires à des fins de décarbonation se déroulerait-elle ?
Le jeune apprenti juriste nous invite à adopter un raisonnement par analogie : « Nous le savons tous, les intelligences artificielles reposent aujourd’hui sur un système d’analyse massive des données en temps réel : dans notre cas d’étude, ces IA se baseraient donc sur des conditions météorologiques, des données liées à la consommation de carburant ou inhérentes aux mouvements des navires ».
Qui dit « utilisation des données », dit également « gouvernance des données », nous rappelle Marius.
L’étudiant en Master 2 se questionne à nouveau quant aux divergences pouvant subvenir vis-à-vis des règlementations, législations en matière de protection des données, de cybersécurité en fonction des régions / États / zones maritimes traversées.
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Légende : Intelligences artificielles et gouvernance des données(© DR)
Ainsi, bien que nous ne soyons qu’aux « balbutiements » de l’utilisation des IA dans l’industrie maritime, Marius anticipe déjà sur leur avenir : « Le bilan coûts / avantages de l’utilisation de ces IA dans le secteur maritime et plus particulièrement dans le transport maritime, et ce, à des fins environnementales / de décarbonation, est donc encore discutable et sujet à débats ».
La décarbonation du transport maritime face au commerce international : une ambition nécessitant une mobilisation de chaque acteur de la chaîne d’exploitation
Selon Anaëlle Mvolo : « La décarbonation du transport maritime implique une mobilisation des acteurs à chaque niveau de la chaîne d’exploitation ».
Transporteurs, logisticiens, gouvernements, mais aussi commerçants : ces acteurs, bien que d’horizons différents, font bel et bien partie d’une même chaîne d’exploitation et sont un vecteur d’approvisionnement à une échelle mondiale.
Par souci d’efficacité et rentabilité, ces protagonistes de la « Supply chain » sont souvent contraints de faire recours à du transport multimodal dans l’approvisionnement des marchandises à l’échelle planétaire.
Pour autant, ces derniers sont souvent peu regardants sur l’empreinte environnementale que représentent leurs activités.
Comme le souligne l’étudiante en Droits maritimes : « Une action de formation et préventive à l’égard de ces acteurs est impérative, particulièrement du côté des commerçants ».
Les commerçants ne doivent plus être « passifs » dans leur processus d'acheminement de leurs marchandises, mais agir en étant pleinement conscients de l’ « empreinte carbone que représentent leurs choix, la distance parcourue par les marchandises, le mode de transport choisi et leur impact sur l’environnement », tout en informant « leurs clients finaux sur les efforts entrepris pour minimiser l’impact carbone, ce qui permettrait par la même de renforcer leur image de marque ».
Afin de ne pas faire face à de potentielles ruptures de stocks ou pour simplement tirer profit d’ « économies d’échelle », les commerçants auraient ainsi une tendance à « sur-commander ». Ces pratiques agressives créeraient des « stocks excédentaires, des produits inutilisés ou obsolètes et des émissions supplémentaires pour leur stockage et transport », occasionnant : « une augmentation inutile de l’empreinte carbone du transport maritime et des chaînes logistiques dans leur ensemble ».
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Légende : Chaîne d’exploitation dans le transport maritime
Devant cette tendance à la « sur-commande », une approche cartésienne devrait être adoptée par les commerçants : ajuster leur modèle d’approvisionnement des marchandises en ne se cantonnant qu’ : « aux volumes réellement nécessaires, en adoptant des modèles juste-à-temps ou juste-en-suffisance ».
Pour parvenir à un tel processus, des outils technologiques s’avèrent nécessaires : des logiciels de type « ERP » ou « IA » et « machine-learning » pourraient prévoir les besoins et demandes de manière plus précise.
« Une meilleure gestion des stocks permettrait aux commerçants de réduire la taille et la récurrence des expéditions maritimes, en limitant les émissions globales », déclare Anaëlle.
Le cap vers un transport maritime international décarboné ne se fera qu’à travers une « responsabilisation collective » et plus particulièrement à travers une prise de conscience des commerçants, acteurs majeurs de la demande.
Accéder à cette transition écologique nécessite : « des politiques incitatives (subventions, normes, labels) et un engagement volontaire des commerçants », selon l’apprentie-juriste.
La décarbonation du transport maritime face au commerce international : vers une prise de conscience collective ?
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Légende : Un nécessaire passage de « consommateurs » à « consomm’acteurs » ?
Victor Averty, dernier intervenant estudiantin à ce Colloque, estime que : « Le sujet de la décarbonation est vaste tant il est complexe et multiséculaire ».
L’intervention de l’étudiant maritimiste vient s’ajouter aux considérations soulevées par sa camarade Anaëlle, ce dernier estimant que : « les enjeux de décarbonation ne concernent pas que les professionnels du transport maritime et que le rôle de chaque individu doit être pris en compte dans l’équation ».
« Tout le monde souhaite moins polluer, moins consommer, mais c’est toujours la faute des industries et jamais de la nôtre », estime Victor.
D’après l’étudiant en Droits Maritimes, avant même de réfléchir à changer les comportements des acteurs de la chaîne d’exploitation de l’industrie maritime, il faut avant tout : « repenser nos schémas de consommation qui ont un impact direct sur les émissions de CO2 par les navires ».
Un changement de mentalité des consommateurs doit s’opérer. Victor Averty considère à ce titre qu’il : « faut accepter l’idée que tous nos produits ne peuvent arriver à la maison en un jour » mais aussi : « freiner notre consommation et nos envies, cela permettant une réduction du trafic maritime mondial et par la même une réduction des émissions de CO2 ».
Penser à la décarbonation du transport maritime international n’est finalement pas une question anodine. Si repenser les comportements des protagonistes de la chaîne d’exploitation du secteur maritime est essentiel, il faut aussi se « poser les bonnes questions en tant que consommateur ». Est-ce finalement vraiment nécessaire de consommer et de faire appel à des produits et services venus d’ailleurs, à l’échelle mondiale ? Pouvons-nous et devons-nous trouver des alternatives à nos modes de consommation mondialisés ?
L’étudiant maritimiste s’appuie sur les propos tenus par Monsieur Nicolaï, intervenant lors de ce Colloque et sur l’expression de « démondialisation ». Une solution pertinente serait de : « relocaliser notre production à l’échelle locale, trouver des circuits plus courts, pour une altermondialisation », déclare l’étudiant en Master 2 DSAMO.
Victor reste cependant optimiste face à ces nouveaux enjeux : « En guise de derniers mots, il ne faut pas être fataliste et garder espoir sur ces questions. C’est maintenant en unissant nos forces, que nous construirons les solutions de demain. Même si nous n’avons pas de réponses instantanées et qu’il reste beaucoup d’efforts à faire, porter le débat permet son exportation afin que d’autres se saisissent de ces problématiques car c’est tous ensemble que nous pourrons avancer ».
https://zeenea.com/fr/category/gouvernance-des- donnees-blog/
https://vetsecurite.com/fr/blog/l-affretement-quels- acteurs-pour-le-transport-de-marchandises-et-de-biens-- n236
https://fiches- pratiques.relationclientmag.fr/Thematique/marketing- 1157/FichePratique/Quelles-sont-attentes-consom- acteurs-comment-repondre-365686.htm